Le 18 mai 1956, une section de soldats français, commandée par le sous-lieutenant Artur, tombe dans une embuscade de maquisards de l'ALN dirigés par Ali Khodja. Dix-sept corps sont retrouvés, «dépouillés de leurs vêtements et de leur armement, mutilés». Une vaste opération de ratissage a conduit à la mort quarante-quatre personnes, du côté algérien. A partir de cet épisode, l'historienne, Raphaëlle Branche, a mené une enquête historico-sociologique. Ainsi, son étude souligne que dans ce territoire entre la Kabylie et la Mitidja, l'embuscade «révèle d'anciennes tensions retenues derrière la scène de la colonisation en acte depuis le XIXe siècle». Après avoir donné une description fouillée de cet événement dans les rangs des colons de l'armée française, dans les rangs des soldats de l'ALN, et montré comment la guerre changeait alors de visage, l'historienne remonte le temps à la création du village, à l'époque de Napoléon III, au détour des années 1870. Le nom d'un petit village de Lombardie, glorieux pour l'armée française, lui est donné. Le gouverneur, Mac Mahon, y a installé cette unité de colonisation en spoliant un lieu habité par les tribus arabes Ben Hini. En 1871, alors que la révolte entraînée par Mokrani grondait, les habitants français sont massacrés. «Les restes retrouvés, carbonisés pour certains, en état de putréfaction avancée au bout de quatre jours, pour d'autres.» Ils sont enterrés dans une fosse commune. Le village renaît malgré tout et se développe, mais pendant la guerre de Libération nationale, ce nœud de passage vers l'Est, avec ses montagnes environnantes en fera un lieu majeur des opérations des combattants algériens et de déploiement de l'armada française. Troisième temps sur lequel Raphaëlle Branche pointe le curseur du temps, les années de terrorisme, après 1992, avec les groupes armés de Lakhdaria, et toutes les autres horreurs que l'on a connues. Au delà de l'histoire de cette zone, en trois moments, 1871, 1956, jusqu'au maquis terroriste des années 2000, le livre éclaire donc, avec le recul de l'universitaire, des pans entiers de l'histoire d'Algérie, et ses soubresauts douloureux.
Raphaëlle Branche, l'Embuscade de Palestro, Algérie 1956, Armand-Colin Paris 2010, 254 pages, 19 euros.