Depuis plusieurs années, le militantisme estudiantint était «chapeauté» par des syndicats agréés par les autorités et sous le parrainage de quelques partis politiques. Certaines de ces organisations se réclament ouvertement en faveur de formations politiques, notamment dans les périodes électorales : l'Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA) est proche du FLN, l'Union nationale des étudiants algériens (UNEA) compte pour le RND et l'Union générale estudiantine libre (UGEL) défend le courant islamique du MSP. Au début de l'année en cours, les étudiants des différentes spécialités se sont révoltées contre les réformes universitaires menées par le département de Rachid Harraoubia. La dizaine d'organisations estudiantines, censées défendre les revendications des étudiants, sont accusées de «complicité avec la tutelle» par les protestataires. Les étudiants se démarquent donc de leur représentation «officielle» en menant de multiples actions de contestation, paralysant toutes les enceintes universitaires du pays, sous la casquette de l'autonomie. Ces étudiants autonomes ont élu des délégués dans les campus et les cités U. Ils se sont regroupés en une seule coordination nationale autonome (CNAE). Actuellement, c'est la «soft war» entre ces deux parties antagonistes qui se disputent la représentativité et de la légitimité du combat estudiantin. Lutte d'influence Pour Mounir, délégué du comité autonome de Bouzaréah, «ces organisations n'ont jamais eu la confiance des étudiants. Elles ne représentent qu'elles-mêmes. Ce qui fait qu'elle ne défendent que leurs intérêts, au détriment des étudiants et au profit de l'administration, comme elles l'ont fait ces dernières semaines. Les membres de ces organisations syndicales n'ont pas hésité à utiliser la force en essayant de casser le mouvement de grève». Hamzaoui Abdelkrim, étudiant doctorant en sociologie de l'organisation et du travail, essaye de trancher sur la question de la représentativité : «La représentativité des syndicats algériens est parmi les points essentiels de mon projet de recherche. On a remarqué qu'avant ce mouvement de grève, le nombre d'étudiants adhérents de l'ensemble des organisations satellitaires ne dépassait pas les 5%. Deux mois après le début de la contestation généralisée dans les universités et les grandes écoles, ce chiffre a reculé de 1%. Je lance un défi aux concernés de prouver le contraire. Par contre, la coordination autonome a gagné le soutien de la majorité des étudiants, soit 60 à 70% des étudiants à travers le territoire national.» La CNAE a, en effet, fait une évaluation «positive» de sa popularité parmi les étudiants «qui ont répondu par milliers à l'appel à la marche du 12 avril à Alger». Par ailleurs, le secrétaire général national de l'Union générale des étudiants algériens (UGEA), Mounder Bouden, défend «le bon travail» effectué par les organisations estudiantines pour réclamer «les revendications logiques et acceptables». «L'UGEA a été initiatrice dans la défense des revendications légitimes des étudiants comme la revalorisation des diplômes et la facilitation de l'accès au master. On a organisé plusieurs mouvements de grève et tenu des réunions avec le ministre, qui a répondu favorablement à toutes les doléances des étudiants. Mais nous refusons que ces revendications soient utilisées à des fins politiques. Pour la représentativité, notre organisation compte 27 000 adhérents, sans compter les sympathisants. La soi-disant coordination autonome n'a réussi à rassembler que 5000 étudiants dans une marche nationale !», a-t-il indiqué.
«Affairisme» et politique Sur un autre volet, plusieurs étudiants dénoncent ce qu'ils appellent l'«affairisme» des organisations syndicales agréées. «Ces organisations n'activent qu'en célébrant les fêtes nationales et religieuses dans les cités universitaires, sans se soucier des revendications pédagogiques des étudiants dans les campus», assurent plusieurs étudiants. «Ces organisations ne savent faire que du chantage sur les directeurs des cités U pour avoir des privilèges dans les services de l'hébergement, de la restauration et dans les activités de loisirs, comme l'organisation des excursions. Ces étudiants ne pensent qu'à leur estomac. Ils n'ont pas honte de réclamer plusieurs fois l'augmentation de la taille des croissants !», a ironisé Harkati Larbi, membre du comité autonome de l'Institut d'éducation physique et du sport (IEPS). Même d'anciens militants des organisations estudiantines se joignent à la critique. «Je faisais partie de l'UGEA entre 2009 et 2010. La seule bonne chose que je retiens est l'organisation de séminaires de soutien à la cause palestinienne. Les responsables de cette organisation nous ont utilisés comme des cobayes pour satisfaire des intérêts étroits», a témoigné Anes Bassata Maâmar, étudiant à la faculté des sciences politiques et de l'information de Ben Aknoun. Concernant la connotation politique du syndicalisme estudiantin, Fatiha Messaoud, étudiante en 1re année de magistère en littérature française, énonce : «La coordination autonome est contrôlée par les étudiants et ne rend de comptes qu'à la base estudiantine. De l'autre côté, toutes les organisations satellitaires sont parrainées par l'alliance présidentielle. Elles ne font que défendre la politique universitaire gouvernementale au détriment des intérêts de leurs camardes.» Sur les activités et l'appartenance politique des organisations estudiantines, le secrétaire général de l'UNJA, Kays Tahar, donne ses explications : «A chacune des organisations existantes sa propre vision des choses. Nous, par exemple, nous organisons souvent des séminaires scientifiques et des célébrations de fêtes nationales, tandis que d'autres investissent dans des questions religieuses. Libre à chacun de défendre ses idées que nous respectons tous. Quant aux pressions des organisations sur les directeurs des enceintes universitaires, qualifiées par certains de chantage, la tutelle a mis en place des sanctions strictes pour châtier les syndicats qui s'impliquent dans ce genre d'affaires. Reste l'appartenance politique. Je suis personnellement cadre du FLN. Cela ne m'empêche pas de diriger l'UNJA, régie par des statuts souverains et autonomes.»