De 2800 durant cette année, il n'en reste actuellement que 1100. Il ne passe d'ailleurs pas une semaine sans qu'on ne signale d'autres fermetures.» Ali Hamani, président de l'Association des producteurs algériens de boissons (APAB), constate que les cas de fermetures des débits de boissons ne baissent pas : «On ferme à tour de bras, même pour manque de poubelle. Dans la seule wilaya de Annaba, la police a même fermé, sur ordre du wali, 23 débits de boissons alcoolisées en une journée. Certains ont rouvert depuis. Même constat à Alger, où chaque semaine des débits et des dépôts de boissons alcoolisées sont fermés pour des prétextes insignifiants», constate-t-il amèrement. En plus du danger pour les consommateurs qui boivent des alcools frelatés, la politique de fermeture favorise les monopoles dans certaines régions, mais aussi la contrebande à nos frontières. «Les conséquences de ces opérations sont visibles dans les espaces publics. Il n'est pas rare de voir des passerelles et des jardins squattés par des consommateurs, qui ne trouvent plus d'endroits où boire dans le respect», ajoute le président de l'APAB. Ce phénomène, généralisé à la périphérie de la capitale, est aussi visible dans des espaces publics du centre-ville : au square Sofia, à la Grande-Poste, ou même au jardin de la Liberté, des tessons de bouteilles et des canettes de bière jonchent le sol. Les buveurs occupent aussi les chantiers publics désaffectés. «Le Titanic et le la carcasse à l'abandon du Musset à Belcourt sont devenus des repaires pour délinquants. Les habitants qui se sont opposés à la réouverture de cette salle mythique n'ont pas réagi à la prolifération de délinquants qui font du bacchanal le soir», relève un riverain, qui signale que dans le Tout-Belcourt subsiste un seul dépôt de boissons alcoolisées. «Le bonhomme, tout le temps épié, travaille presque à porte fermée, de crainte de voir le voisinage s'acharner contre lui. Au Ruisseau, dans la même commune, des habitants ont réclamé la fermeture d'un local, prétextant le tapage nocturne», signale-t-on. Le président de l'APAB affirme que ces opérations ne s'appuient sur aucune réglementation. «Les actions des services de la DCP et de la police s'appuient souvent sur un artifice juridique. L'instruction du ministre du Commerce du 30 janvier 2006, par exemple, qui considère l'activité de gros ou de détail en boissons alcoolisées comme une activité réglementée soumise à autorisation préalable du wali, est contraire à la loi. Les services de la wilaya s'y appuient à chaque fois qu'ils ferment un local où l'on sert des boissons», s'indigne-t-il. Politique bigote ? Le président de l'association et non moins SG de Castel, producteur de boissons, soupçonne les autorités de vouloir «plaire» à certaines personnes dont ils «devinent» les préférences religieuses : «Les pouvoirs publics veulent gagner la sympathie du grand nombre. Ils en font un peu trop.» Au niveau de la direction du commerce d'El Biar, on minimise l'ampleur de ces opérations de fermeture menées au niveau des circonscriptions administratives. «Les fermetures des débits se font selon la réglementation en vigueur. Il n'y en a pas autant qu'on le pense. L'activité des débits des boissons est réglementée, donc un agrément est nécessaire. Une commission au niveau de la wilaya se réunit, et c'est le wali qui décide en dernier ressort. Des agréments ont déjà été délivrés», signale M. Kemache, chargé du contentieux au niveau de la direction du commerce qui a recensé 194 débits de boissons à Alger qui émargent au niveau du registre du commerce. Dans l'une de ses rares interventions sur les opérations de fermeture d'établissements à la Madrague, le wali d'Alger s'est défendu de privilégier une quelconque politique bigote. Mohamed Kebir Addou a assuré, en 2009, que les fermetures sont engagées pour défendre le consommateur. «Que nenni !», répliquent en chœur les gérants, qui affirment subir des pressions des autorités. Un gérant de la rue Didouche, dont on taira le nom, a été obligé de fermer et de changer d'activité. «Les services de la DCP sont venus à maintes reprises, ma licence est arrivée à expiration. Pour la renouveler, j'ai tout fait. On a exigé de moi de remplir des formulaires, mais au bout du compte, l'autorisation n'arrive jamais. Ces tracasseries, c'est juste une manière de nous obliger à fermer pour de bon, alors que durant la décennie noire, des patrons ont ouvert sans être gênés. A cette époque, les autorités ont même privilégié ce genre d'activité», fait remarquer notre interlocuteur, qui affirme que dans le centre-ville d'Alger, plus d'une vingtaine ont mis la clé sous le paillasson. Bars fermés Le Novelty, le Milk-Bar au centre-ville ont vite changé d'activité. Plus loin, à Aïn Taya, Bordj El Bahri, Rouiba, les bars restaurants, qui portent des noms qui rappellent un passé à jamais révolu, ont aussi fermé. Plus de Guinguette, ni Zahrat El Moudoune. A El Biar, El Djamila, restaurant situé près de la place Kennedy, a baissé rideau sous la pression des riverains. Dans certaines communes, point de bars, à l'instar de la commune Bab El Oued. «Ce n'est pas que les gens de Bab El Oued ne boivent pas, ils sont comme tous les autres. Mais une politique bigote a fait que la vingtaine de bars de notre quartier a disparu ces dix dernières années, comme la brasserie des Trois-Horloges, très fréquentée. Les prétextes sont souvent la non-conformité à la réglementation, l'absence d'agrément ou le non-renouvellement d'une autorisation. Entre-temps, des ‘‘moussala clandestins'' sont apparus dans les caves des immeubles sans que l'Etat ne s'en offusque. Le danger d'une salle de prière non contrôlée est plus important qu'un bar», relève un jeune, lui-même «ancien pilier de bar». A Raïs Hamidou, les gérants d'un bar de la plage Franco ont été obligés de fermer après des incidents. Un meurtre sur cette plage de la Pointe Pescade a provoqué l'«acharnement» des services administratifs, s'indignent des proches de gérants. Les patrons, qui exerçaient durant plusieurs années, ont été obligés de fermer «pour protéger la sérénité» des estivants et du voisinage. Des «nababs» ont pourtant réussi à avoir leur agrément au quart de tour. «Un restaurant de la côte ouest a ouvert. L'autorisation tant espérée a été remise à son propriétaire un policier. Quand les autorités en haut lieu ont décidé qu'il ouvre, la réaction de l'ancien wali délégué de Chéraga a été rapide», nous informe une source à la wilaya. Les clients, qui souhaitent que des bars restaurants obéissent aux règles d'hygiène, s'indignent de cette situation aux relents prohibitionnistes. «Il n'est plus permis de boire à la terrasse d'un café. Il n'y a pas si longtemps, je me suis attablé avec des amis à la rue Didouche. Personne n'a trouvé à redire, tout le monde allait son chemin. Mais ‘‘eddoula'' (les pouvoirs publics) veut plaire à certaines personnes. Un café du centre-ville sert, en plus du café, du pastis. Le tourisme en prend aussi un coup. A la Madrague, lieu où se concentraient, durant plusieurs années, des guinguettes, des bars restaurants et des foundouks, on ne sert presque plus de boissons alcoolisées», signale un cadre d'une entreprise publique du centre-ville, qui se rappelle, avec une certaine nostalgie, de cette période où l'on n'obligeait pas les Algériens à l'abstinence. Les responsables de Castel, l'un des quatre producteurs de boissons à Alger, affirment que la marque n'incite pas à la consommation, mais elle répond à une demande toujours importante. «Le volume des boissons alcoolisées commercialisées est estimé à 1,1 million d'hectolitres. 25% de cette production est écoulée dans la seule wilaya d'Alger», indique-t-on au niveau du producteur. «Ce n'est pas en interdisant la vente que la consommation disparaîtra pour autant. Dans des pays, comme la Libye ou l'Arabie Saoudite, où les boissons spiritueuses sont interdites, la consommation n'a jamais faibli. Les clients ont trouvé d'autres ersatz en faisant leurs achats chez les voisins. C'est un secret de Polichinelle que les Libyens, pour ne citer qu'eux, remplissent leur besace en Tunisie», signale M. Hamani.