Son but est d'assurer la stabilité monétaire et financière de l'ensemble des pays composant la planète en régulant les taux de change et les flux financiers à l'échelle du monde entier, sans savoir si un pays est européen, asiatique, américain, africain ou autre. Cependant, lorsqu'on regarde la gouvernance du Fonds au cours des dernières décennies, on constate que le directeur général de cette institution a été un Européen et plus spécifiquement un Français (de Jacques de Larosière, Michel Camdessus, DSK, pour ne citer que ceux-là). Si dans le passé cette « appropriation » du Fonds était tolérée, cela n'est plus le cas dans le monde d'aujourd'hui où, à côté des pays développés, un certain nombre de pays se sont hissés à un niveau intermédiaire et qu'on appelle communément les « pays émergents » ou encore les BRIC's (Brésil, Russie, Inde et Chine). Ces pays sont essentiellement, mais pas exclusivement, les pays indiqués entre parenthèses, mais incluent d'autres comme le Mexique, la Corée du Sud, et d'autres encore. Dans cet article, nous examinons les thèses passées (et dépassées) d'un FMI «gouverné» par l'Europe et spécifiquement par la France sur la base d'un partage « politique » de la sphère économique mondiale, et les thèses en faveur d'une nouvelle gouvernance du Fonds basée sur la compétence et non sur la concurrence qui, du reste, est très chère aux Européens en particulier et aux occidentaux en général. LES THèSES D'UN FMI «GOUVERNÉ» PAR L'EUROPE ET SURTOUT LA FRANCE Depuis sa création en 1944 jusqu'à ce jour, une sorte de «convention» tacite prévalait selon laquelle la Banque Mondiale devait être dirigée par un Américain et le FMI par un Européen. Ce partage de la gouvernance des deux plus importantes organisations économiques internationales entre les USA et l'Europe — d'une simple habitude ou coutume — en est venu à être institutionnalisé et admis par les gouvernements et même par les peuples du monde. Le résultat est que la Banque Mondiale a effectivement généralement été dirigée par un Américain et le FMI par un Européen, et plus spécialement par un Français. Nous nous focaliserons surtout sur le FMI où la gouvernance est à l'ordre du jour après l'affaire DSK. Concernant le FMI, on constate que les derniers directeurs généraux étaient des Français. Et, en dépit de l'accusation de Dominique Strauss-Kahn — le dernier directeur général du Fonds — et de son implication dans ce qu'on peut considérer comme un des plus grands scandales ayant entamé de façon profonde la crédibilité de l'institution monétaire mondiale, les gouvernements européens, et le gouvernement français en particulier, continuent de défendre leur «supposé» droit de désigner le candidat à la gouvernance du Fonds. C'est ainsi que le nom de Christine Lagarde, l'actuelle ministre française des finances, a été propulsé pour succéder à DSK. Une campagne de «Lobbying» et de «Networking» agressive a été entreprise par le gouvernement français pour «placer» ou «vendre» les qualités de Mme Lagarde. On a mis en avant son expérience comme avocate dans un cabinet d'avocats new-yorkais, comme ministre des Finances et comme «diplomate» alors qu'elle n'a occupé aucun poste diplomatique — au sens stricto sensu — à notre connaissance. On a même avancé le fait qu'elle parle anglais couramment comme si cela était un indicateur de sa capacité à diriger les affaires monétaires et financières internationales et comme si les autres candidats potentiels des pays émergents ne parlaient pas anglais (ce sont plutôt les Français qui ont toujours considéré la langue de leur nombril, le Français, comme la «meilleure» des langues). On a aussi avancé le fait qu'elle est une «femme», comme si dans le reste du monde hors France et hors Europe, il n'avait pas de «femmes» capables de gérer l'institution mondiale. Bref, tout est fait par le gouvernement français et les gouvernements européens qui semblent l'appuyer — qui présente le produit et son emballage sous les meilleurs angles — pour faire de Madame Largarde «La» candidate «idéal» pour le poste de directeur général du fonds. Tout cela ne veut pas dire, bien entendu, que Madame Lagarde n'est pas capable de diriger le FMI. Ce que nous voulons simplement dire c'est- qu'elle n'est pas «la seule» au monde à avoir les qualités qu'on lui attribue et que, si elle était mise en concurrence avec d'autres hommes ou femmes du monde, incluant les pays émergents — la concurrence n'est-elle pas une institution « sacrée » dans les pays européens et occidentaux en général — on pourrait (je dis bien on pourrait) peut-être trouver des candidat(e)s aussi ou plus qualifiées qu'elle. Au contraire, le gouvernement français en a fait une proposition « politique » au lieu de laisser l'institution elle-même — en l'occurrence le FMI — évaluer et sélectionner les candidat(e)s sur la base de leurs compétences et expériences. Ceci est contraire à la philosophie des pays européens qui veut que la politique ne se mêle pas des affaires. En effet, ce dont on a besoin pour diriger une institution comme le FMI c'est un candidat maîtrisant parfaitement — en théorie et en pratique — les mécanismes monétaires et financiers internationaux. Bien entendu que l'acte de gestion (je préfère parler d'acte de « management ») du Fonds implique un acte politique dans le sens où il faut prendre des décisions et les faire appliquer par les membres du Fonds. Le sens donné ici au mot « politique » n'est pas celui donné généralement à la politique. On a en même temps l'impression que ce «forcing» ou «doping» français et européen en faveur de la candidate française est fait pour faire oublier le scandale du Français DSK. On a l'impression, on veut placer un « bon Français » (en l'occurrence une «bonne Française» pour effacer les traces d'un « mauvais Français». En d'autres termes, on veut effacer l'image ternie de la France laissée par ce qu'on appelle désormais «l'affaire DSK». Ce dont on a besoin aujourd'hui, c'est d'un candidat, quel que soit son pays d'origine, qui réussira à faire oublier le scandale actuel et apportera un peu d'éthique dans le management du fonds. Une autre raison — également non avouée par les pays européens — pour «écarter» les candidatures hors Europe, et notamment celles des pays émergents, est que les candidats de ces pays sont incapables de faire la distinction entre la gestion d'une institution mondiale comme le FMI et leur appartenance à leur pays d'origine. En d'autres termes, on craint — sans oser le déclarer — que les candidats émergents soient en même temps juges et parties dans leur gestion des affaires internationales. LES THèSES EN FAVEUR D'UNE CANDIDATURE BASéE SUR LA COMPéTENCE ET LA COMPéTITION Face à ce « doping » de la part du gouvernement français et des gouvernements européens pour soutenir la candidature de la Française Christine Lagarde, il y a la question légitime posée par les gouvernements des pays émergents : selon quel sacro-saint principe la gouvernance du FMI doit-elle être le fait d'un Européen et encore moins d'un Français ? Cette question en appelle une autre : les pays émergents n'ont-ils pas droit au chapitre et au partage du management des affaires du monde qui les concernent autant sinon plus que les pays européens ? La réponse «non dite» à ces questions est que la connaissance et la compétence sont le monopole des Européens en particulier et des Occidentaux en général et que les citoyens des pays émergents n'ont pas ou bien la compétence ou bien l'expérience exigées par le poste de directeur général du fonds. En d'autres termes, le Tiers-monde — qui est devenu le Second monde à la suite de la disparition de l'ex-bloc soviétique — est condamné à être un «follower» (un suiveur) et n'est pas en mesure de devenir un « leader » capable de diriger des institutions comme le FMI. Ce statut de «follower» attribué de facto au Second monde en général et aux pays émergents en particulier est, il faut le dire, « appuyé » par l'absence de force de proposition qui caractérise cette partie majoritaire du monde. On a donc, d'un coté, l'Union européenne qui dispose d'un puissant «bargaining power» (pouvoir de négociation) et, de l'autre, les pays émergents qui sont encore des BRIC's (je suis tenté de dire des « briques ») isolés et sans aucune force de proposition et de négociation. La réalité, malheureusement, est qu'il n'y a pas deux pays émergents qui peuvent s'entendre sur quoi que ce soit aujourd'hui, notamment lorsqu'il s'agit de la gestion des affaires du monde. Ce qui est plutôt courant, c'est la pratique du «chacun pour soi». Le résultat est que dans la succession de DSK pour la direction du FMI — l'union faisant la force — l'Europe, «travaillée» par la France, va faire passer la candidate quasi «plébiscitée» que constitue Christine Lagarde. Pourtant, les pays émergents regorgent de ressources humaines ayant les talents et l'expérience requise par le poste de directeur général du Fonds. Du reste, ces personnalités originaires des pays émergents ont souvent fait leurs études dans les pays européens et occidentaux en général —USA, Europe, etc. — et qu'ils ont souvent occupé des postes de haut niveau dans des organisations privées ou publiques internationales et ont souvent fait la preuve de leur compétence et de leur expérience. Les pays émergents regorgent de compétences qui d'ailleurs — hasard de l'histoire ou incapacité des pays émergents à conserver et utiliser leurs talentueuses ressources humaines — se retrouvent dans les pays développés, notamment aux USA, en Europe, etc., par le biais de ce qu'on appelle depuis longtemps déjà le «drain brain» (fuite des cerveaux). La Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie et d'autres pays encore ont des économistes de talent — parfois des Nobel d'économie — qui sont capables de gérer des organisations comme le FMI. La preuve que les pays émergents ont des compétences de renom a été fournie par certaines institutions mondiales comme les Nations unies elles-mêmes qui ont souvent été dirigées par des personnalités de pays du Second monde : Boutros-Boutros Ghali (Egypte), Kofi Anan (Ghana) et aujourd'hui l'Asiatique Ban Ki -Moon. Ces personnalités ont montré qu'elles sont capables de gérer les affaires du monde sans que leur pays d'origine n'ait jamais été partie dans la manière de gérer ou l'orientation donnée à l'organisation internationale qu'ils dirigent. CONCLUSION En conclusion, on peut dire qu'il existe une iniquité profonde dans la manière de partager les responsabilités économiques à l'échelle internationale. On peut même ajouter — sans risque d'exagération — qu'il existe une certaine « ségrégation » (ou préférence) lorsqu'il s'agit de choisir les candidats à la gouvernance des organisations internationales, qu'elles soient économiques ou politiques d'ailleurs. Il est donc temps que, d'un côté, les pays émergents s'organisent et renforcent leur solidarité pour accroître leur «bargaining power» et, de l'autre, que les pays développés acceptent dans leurs rangs ces nouveaux «émigrés» du monde émergeant. Concernant le cas particulier du FMI, il serait plus judicieux et plus équitable d'ouvrir le poste de directeur général à la concurrence internationale — utilisant ce faisant une des lois chères à l'économie de marché que les pays européens défendent bec et ongle — et d'éviter que la politique se mêle des affaires économiques qui doivent être du seul ressort des organisations internationales elles-mêmes sans aucune intervention des gouvernements de quelque bord qu'ils soient. Ce n'est qu'à ces deux conditions —renforcement du «bargaining power» des pays émergents et ouverture à la concurrence par les pays développés — que l'on retrouvera une certaine équité et éthique dans le management des affaires du monde.
Dr Arezki Ighemat. Professeur d'économie et de marketing. Master of Arts in Francophone Literature. [email protected]