Sur la scène, la demi-pénombre s'estompe peu à peu pour laisser voir quatre personnages de blanc vêtus, assis ici et là sur des chaises noires. Les trois hommes sont torse nu alors que les deux femmes portent des débardeurs noirs. Leurs immaculées vestes blanches sont suspendues au dossier des sièges noirs d'ébène. Leur attitude révèle qu'ils sont en attente et que celle-ci a été longue. Puis l'un ou l'autre sortent de leur mutisme. Des propos sépulcraux sont débités sans intonation particulière. Peu à peu, on s'aperçoit que ces étranges paroles sont de réels échanges entre les personnages mais dont eux seuls ont les clés. Tout devient intelligible dès le moment où l'on comprend que les personnages ne sont plus du monde des vivants sans pour autant être de celui des morts. Ils sont dans un espace temps entre l'ici-bas et l'au-delà que l'on appelle le barzakh. H'mida Ayachi, l'auteur de Noun, en fait un huis clos entre ces morts-vivants. Il y perpétue leur(s) conflit(s), leurs fureurs non éteintes, leur désespoir et les regrets qui déjà pointent. Au référent religieux de départ, Ayachi agrège d'autres thèmes d'inspiration, complémentairement ou contradictoirement, multipliant et densifiant ainsi la polysémie de son texte. La mise en scène de Abbar Azzedine en souligne les contours avec intelligence et sensibilité. C'est sa deuxième confrontation avec un texte de Ayachi. Il lui avait monté, une décennie auparavant, un autre huis clos : Habil oua Habil. Le registre du théâtre de l'absurde est ainsi revisité ensemble une nouvelle fois, un genre dans lequel Azzedine excelle pour s'être remarquablement frotté aux œuvres de Bradbury, Ionesco et Samuel Becket. Les clins d'œil à Pirandello et Becket sont inscrits tant dans le texte que la mise en scène. Une nouvelle fois, Azzedine s'est attaché les services des excellents Slimane Habbès et Zaaboubi Abderrahmane. Le chorégraphe a investi le terrain de la subtilité plutôt que celui du spectaculaire comme dans Falso, le précédent spectacle de Abbar. C'est une chorégraphie du corps à corps, de l'effleurement et de la transe parfois. La scénographie de Zaâboubi joue du contraste des couleurs et des formes pour accentuer les atmosphères. Malheureusement, l'exiguïté de la scène de la salle de la maison de la culture de Aïn Témouchent a empêché que tous les effets de sa création se déploient. De la sorte, la pièce, quelque peu verbeuse, a reposé sur le jeu des acteurs. Dalila Nouar a amplement mérité son prix d'interprétation féminine décroché lors du dernier festival national de théâtre professionnel. En entraineuse de cabaret excitant les mâles libido, elle a été exquisément la femme fatale en demeurant dans la suggestion plutôt que dans la démonstration. Khadidja Abdelmoula, en Zana, un personnage auquel H'mida a consacré un de ses romans, a eu son premier grand rôle. Elle l'a supérieurement campé. Quant à Abdelkader Djeriou, par ailleurs assistant à la mise en scène, il a été distribué à contre-emploi, ce qui lui a permis d'étaler une autre facette de son talent et surtout de se libérer d'un rôle qui commençait à lui coller. Il a été époustouflant de vérité, insufflant l'émotion ou la fraîcheur au spectacle dans le personnage d'un simple d'esprit. Abou Bakr Seddik Benaïssa, Boumédienne Bella et Abdellah Merbouh ont été les indispensables et efficaces comparses dans un spectacle à voir et, pourquoi pas à revoir. Merci au Trsba de continuer à aligner les superbes productions et à favoriser la reconquête d'un public pour le théâtre.