Chaque semaine, la presse nationale nous rapporte des informations sur la violence et, semble-t-il, cette violence est devenue le seul langage dans notre société. Des kidnappings, des assassinats à la hache à profusion, des personnes poignardées pour des raisons futiles… La violence devient-elle le seul mode d'expression ? Sommes-nous devenus insensibles à la violence ? La violence est-elle banalisée ? Que penser alors de la mort ? Mais quand la violence touche des enfants, ceci est encore plus alarmant. Marcel Conche parle du mal absolu lorsque la violence les touche. Selon lui, c'est la souffrance, dans ce qu'elle a d'intolérable, d'injustifiable, la souffrance sans recours, sans médiation, sans défense. Le pire, c'est la souffrance des enfants. Qu'est-ce que le mal absolu ? C'est un mal, répond Marcel Conche avec Kant, tel qu'« une sagesse ne peut permettre ou désirer ni comme fin, ni comme moyen ». Et pourtant, dans notre société, ce mal absolu existe, même si ce sont des cas isolés, mais les faits sont là ! Le cas de l'enfant Aymen de la wilaya de Souk Ahras, cet enfant de dix ans, brûlé à 25% et torturé à mort par trois jeunes, ses propres voisins. Ces jeunes sont-ils déshumanisés ? Sont-ils des monstres vivants ? La mort de cet enfant devrait susciter un débat national sur la violence dans notre société et sur les raisons qui font que nos jeunes sont violents à ce point. Les agresseurs d'Aymen devraient être jugés sévèrement et leur procès devrait être exemplaire et médiatisé. Et la société devrait manifester sa solidarité avec la famille de la victime qui semble désorientée. Les dernières statistiques de la Gendarmerie nationale sur les agressions sexuelles sur les mineurs sont alarmantes. Pour les seuls premiers trimestres de l'année dernière, on a enregistré 179 cas. Au premier trimestre de cette année, 193 cas d'abus sexuel sur mineurs - 76 garçons et 113 filles - ont été enregistrés. Ces chiffres prennent en compte uniquement les agressions qui sont déclarées, mais combien d'enfants et de familles préfèrent se taire plutôt que de dénoncer ? Plus de 840 enfants auraient été kidnappés en Algérie depuis 2001 . Sans oublier les enfants nés illégalement (c'est-à-dire hors mariage), leur sort reste toujours tabou dans notre société et pourtant, ce sont des femmes qui ont été violées ou ont été victimes de relations incestueuses, mais aussi parfois lors de relations amoureuses avec un homme incapable de respecter ses engagements. Dans une étude sur l'attouchement sexuel dans cinq wilayas, réalisée par le Centre de recherche d'économie appliquée pour le développement, les résultats sont alarmants dans certaines régions isolées (22,2% dans une wilaya du Sud). La tranche d'âge la plus touchée se situe entre 6 et 12 ans, c'est-à-dire à l'école. S'ajoute à cette violence physique celle que subissent 10% des élèves obligés de déserter l'école pour subvenir aux besoins de leur famille pauvre. Et la liste est encore longue… Certes, les années 1990 ont laissé des séquelles qui subsistent dans tous les domaines qui touchent le quotidien des Algériens. Sur le plan individuel, l'Algérien n'est pas encore guéri de tout ce qu'il a vécu. Il faudra deux décennies pour que la violence cesse sur le plan moral à condition que ces personnes soient prises en charge. Nous assistons, cependant, impuissants, à l'absence de politique claire et de stratégie nationale pour faire face à ce fléau. Il semble que le gouvernement actuel ait plus urgent à faire que de s'occuper de la génération future. Comme d'habitude, le gouvernement algérien a remis aux calendes grecques cet aspect, c'est-à-dire la prise en charge des enfants victimes de violence ou qui ont assisté à des scènes de violence. L'aspect qui a émergé après la réconciliation nationale est celui de la légitimation de la violence sur le plan moral. La réconciliation nationale devrait œuvrer à l'arrêt de la violence, pas seulement physique, mais aussi sur le plan éthique. Ceci pourrait se faire par la multiplication des rencontres populaires lors desquelles des témoins et victimes de cette violence livreraient leurs témoignages, elles devraient être organisées par des associations civiles et médiatisées par les médias lourds, en l'occurrence l'ENTV. Si le gouvernement actuel poursuit cette politique du « tout va bien et nous maîtrisons tout », les actes de violence sur les enfants autant que sur les personnes faibles comme les femmes et les personnes âgées vont encore durer et ce sont de futurs candidats à l'exil. Autrement dit, le phénomène de la harga va encore s'amplifier car, si nous essayons d'analyser ce phénomène, nous nous rendons compte qu'il s'agit aussi d'une forme de violence contre soi et contre les politiques. Il existe un numéro vert au niveau d'Alger et cette initiative devrait être généralisée au niveau national. D'autre part, il devrait y avoir des institutions pour prendre en charge ces enfants, pas seulement des cellules d'écoute, mais aussi des centres socio-psychologiques au niveau de chaque commune pour répondre aux besoins de la population. Ces centres devraient travailler avec les centres d'accueil pour les enfants, les femmes, les personnes âgées, etc. Dans ces centres, on trouverait des psychologues, des assistantes sociales, des éducateurs spécialisés, des médiateurs et des conseillers juridiques. Ces centres prendraient en charge, en premier lieu, les cas urgents mais répondraient également, statistiques à l'appui, aux besoins de la population. De plus, les cours d'éducation civique devraient intégrer dans leur programme un chapitre sur les droits de l'enfant. Et la société civile devrait sensibiliser les parents et avertir les autorités en cas d'actes déviants. Mais le statu quo actuel nous indique tout le contraire, car on ne sent pas la volonté du gouvernement pour l'émergence d'une société civile. Il veut tout contrôler au risque de tout perdre. Que reste-t-il à faire ?