Le parti, qui a revendiqué dès lundi une victoire nette alors que les résultats officiels étaient attendus mardi soir, a dit qu'il chercherait à former une large coalition au sein de l'Assemblée qui sera chargée de rédiger une nouvelle Constitution et de désigner un nouvel Exécutif. «Ennahda devra être prudent pour ne pas s'aliéner ses partenaires politiques, mais aussi le jeune électorat qui lui a accordé ses suffrages tout en restant attaché à un certain mode de vie» ouvert sur l'Occident, affirme Issaka Souare, spécialiste de l'Afrique du Nord basé à Pretoria. Pour l'historien tunisien Fayçal Chérif, «Ennahda ne voudra pas donner l'impression qu'il cherche à imposer ses vues» à une société tunisienne qui n'est pas prête «à céder sur ses libertés», neuf mois après une révolution populaire. Ennahda ne s'y est pas trompé et a immédiatement lancé un signal en direction des investisseurs et des femmes. «Nous voulons rassurer nos partenaires (…) : nous espérons très rapidement revenir à la stabilité et à des conditions favorables à l'investissement», a déclaré lundi Abdelhamid Jlassi, directeur du bureau exécutif du parti. Pour Issaka Souare, il est clair qu'Ennahda «ne pourra pas se permettre de laisser se détériorer les relations de la Tunisie avec les pays occidentaux», alors que le tourisme représente près de 10% du PIB. Entre janvier et septembre 2011, ce secteur n'a rapporté de 780 millions d'euros de devises, soit une chute de 39,4% par rapport à la même période de 2010. Lundi, à l'annonce des premières tendances du vote, toutes les valeurs de la bourse de Tunis étaient en baisse. Dans l'après-midi, le mouvement islamiste a répété qu'il était ouvert à tous les partis «sans exception pour former une alliance politique stable». Le risque à ne pas prendre Pas de charia en Tunisie, a-t-il martelé, alors que le voisin libyen adoptait la loi coranique comme nouvelle base légale, trois jours après la mort de Mouammar El Gueddafi. Quel que soit son programme, «il n'y a aucune chance qu'Ennahda parvienne à dicter sa loi lors de la rédaction de la nouvelle Constitution, même dans le cadre d'une coalition», affirme M. Chérif, rappelant que la société tunisienne est depuis très longtemps sécularisée. Pour dégager une majorité, il devra négocier avec des formations de gauche, notamment le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki et Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar, partis dirigés par d'anciens opposants et qui se disputent la 2e place du scrutin. «Une alliance dans le cadre d'un gouvernement avec un parti comme Ettakatol offrirait une garantie forte, car c'est un mouvement démocrate qui restera extrêmement vigilant sur les libertés fondamentales», estime l'historien français Pierre Vermeren, spécialiste du Maghreb. Il faudra toutefois surveiller quel sera «le quorum requis pour de futures modifications de la Constitution. Si c'est la majorité simple qui s'applique, cela laissera le champ libre à Ennahda et à ses alliés», souligne-t-il. Un des motifs d'inquiétude des futurs partenaires de gauche d'Ennahda est le caractère insaisissable de ce mouvement : laminé sous la présidence Ben Ali mais dont la force de frappe est apparue intacte aux élections, au discours public modéré mais plus musclé dans les mosquées. Qu'elle soit dans la majorité ou l'opposition, la gauche s'interroge sur le nouveau visage – modéré ou radical – d'Ennahda, qui ne sera connu qu'après son congrès prévu en novembre. Pour Pierre Vermeren, l'élection est déjà en elle-même révélatrice de la nouvelle donne politique : les Tunisiens ont certes placé «Ennahda en tête, mais pas sans garde-fous». «Si on agrège les voix des partis libéraux, de gauche et laïques, on arrive à environ 25/30%, ce qui est énorme. On ne verrait ça dans aucun autre pays du Maghreb. Même qui elle n'est pas encore structurée, ce sera une force puissante au sein de l'assemblée», estime-t-il.