Contrairement à d'autres intellectuels de sa génération qui étaient dans le même front de lutte contre l'obscurantisme que lui et dont on commémore la disparation chaque année, Youcef Sebti est de ces poètes qu'on a tendance à oublier. C'est à Boudious, une petite bourgade rurale près d'El Milia qu'il a vu le jour un certain 23 février 1943, et c'est dans un modeste appartement de la ferme pilote de l'Institut national d'agronomie, à El Harrach, dans la banlieue d'Alger, qu'il a trouvé son destin. Il y a été assassiné par des terroristes, la nuit du 27 au 28 décembre 1993, au début d'une longue décennie d'assassinats d'intellectuels, de poètes, de journalistes, de médecins et autres intellectuels du pays. Youcef Sebti, car c'est de lui qu'il s'agit, était l'un de ces brillants hommes de sciences et de lettres qui a fait une longue carrière de recherche dans le domaine de la sociologie rurale. Enseignant-chercheur à l'INA d'El Harrach, il était également journaliste et poète. Outre ses brillantes thèses dans son domaine de recherche, l'homme a laissé derrière lui des œuvres poétiques qui résonnent encore dans les forums de poésie auxquels l'intellectuel participait. Ses vacances, à El Milia, il les consacrait à enseigner aux élèves de son village natal, auquel il était très attaché, bien qu'il l'ait quitté précocement pour aller consacrer sa vie à l'enseignement et à la recherche scientifique. Son ami n'était autre que l'un des plus connus cheikhs de la ville, le défunt Messaoud Boulkhodra, qui était le charismatique instituteur du village. «Ils étaient des amis, très liés, je les voyais souvent ensemble lorsque Youcef venait passer ses vacances», se souvient Djamel, un habitant du centre-ville. Dans ses péripéties poétiques, Youcef Sebti participait à des rencontres, à Alger, Béjaïa et dans d'autres villes du pays, où il déclamait ses œuvres et animait avec brio ses rendez-vous intellectuels. L'homme était brillant à tous points de vue. Mais contrairement à d'autres intellectuels de sa génération, qui étaient dans le même front de lutte contre l'obscurantisme que lui et dont on commémore la disparation chaque année, Youcef Sebti est de ces poètes qu'on a tendance à oublier. Dans son village d'El Milia, rares sont ceux qui le connaissent. «Les jeunes d'aujourd'hui ne s'intéressent pas à ses œuvres, l'arabisation des programmes scolaires les a éloignés du parcours de ces intellectuels francophones, c'est dommage !», déplorent les rares personnes qui ont connu ou côtoyé Youcef, à El Milia. Traversée par l'oued El Kébri, El Milia est néanmoins restée gravée dans ses œuvres lorsqu'il a décrit les crues, jadis impressionnantes de cette vallée, aujourd'hui endiguée par un barrage, par ce passage poétique: «Il se peut que l'oued El Kébir déborde, qu'il envahisse vallées et plaines, qu'il emporte chênes, oliviers, troncs, qu'il recouvre de sa boue les terres, qu'il rejette de son ventre des poissons inertes.»