Samia Chala est documentariste depuis 1997. Elle vit en France depuis 1994. Elle a réalisé un 52 minutes pour France 5, Chahinez, quels droits pour les femmes ? Au cœur de la révolte kabyle est un autre documentaire réalisé en 2001 et diffusé par la chaîne franco-allemande Arte. Dans quelles conditions s'est faite la réalisation du documentaire ? C'était la galère. Le film a été réalisé avec peu de moyens. J'ai commencé le tournage, il y a cinq ans. Au départ, je voulais faire plusieurs portraits. Je suis tombée sur Lamine qui est, pour moi, un super personnage. Je l'ai connu à travers mon ami Sid Ahmed Semiane. Je voulais réaliser un documentaire court. Mais, le personnage de Lamine m'a tellement plu que j'ai pris la décision de développer. Et au fur et à mesure, le projet prenait de l'ampleur. Lamine sortait du lot. Il me faisait penser aux personnages du cinéma réaliste italien des années 1970. Et donc, je voulais continuer alors que je n'avais pas les moyens nécessaires. J'évite d'entrer dans les détails concernant l'argent. Le montage est coûteux. Tout a été fait en France. Dans le documentaire, vous aviez dit que le départ vous rappelle votre propre histoire d'installation en France, il y a quinze ans… Dans le film, c'est mon regard sur Lamine. Prenez un autre réalisateur, Lamine deviendrait un autre sujet. J'ai montré les choses qui me touchaient personnellement. Des choses liées à mon histoire. Et comme j'ai intervenu dans son histoire en lui facilitant l'obtention du visa… Pourquoi l'avez-vous aidé ? Je l'ai sincèrement aidé pour le remercier. Il m'avait vraiment touché. Le fait que Lamine n'arrivait pas à obtenir le visa est une façon pour moi de dénoncer les politiques européennes en la matière. C'est un scandale. Un mur est érigé par l'Europe. Il y a vingt ans, les visas n'existaient pas, toute l'Algérie ne s'est pourtant pas installée en France ! J'étais en plein montage de la première partie du documentaire, avec ce bonheur de construire le film, quand j'ai su qu'il a obtenu le visa. Je me suis dit qu'il fallait une suite en France. Je voulais confronter son regard avec la réalité là-bas. L'aider à s'installer à Paris n'aurait pas eu de sens. Il fallait que Lamine se débrouille. Il a tenu quatre mois. J'étais là avec lui, on se voyait tous les jours. Je n'avais pas tout le temps la possibilité de filmer, car cela coûtait de l'argent. J'ai filmé les débuts, son arrivée et puis j'ai filmé à la fin avant que Lamine ne rentre en Algérie. Vous avez choisi un personnage relativement jeune. Pourquoi ? Lamine avait 35 ans au moment du tournage. Ce que j'ai aimé chez lui, c'est son caractère d'anti-héros. C'est un peureux, un anti-macho. Cela me plaisait parce qu'on avait toujours cette image d'hommes arabes machos en France. Lamine est tout le contraire. C'est peut être la part de féminité des hommes algériens qu'ils n'arrivent pas à assumer ! Au-delà de Lamine, je voulais évoquer quelque chose de plus universel. J'avais monté la première partie et je suis allée participer au Fespaco de Ouagadougou. De jeunes Burkinabés avaient vu le documentaire et ont aimé. Alger est magnifique et Lamine vient de milieux populaires mais ce n'est pas la pauvreté totale. Les jeunes m'ont dit que Lamine pense comme nous mais il n'est pas aussi pauvre que nous. J'ai trouvé cela formidable. Car au-delà de l'Algérie, c'est le Sud qui regarde et qui est dans le fantasme de l'Occident. C'est tout cela que je voulais traiter. Et au-delà de la question de l'immigration, c'est le rapport au fantasme qui est important. Et à partir du moment qu'on réalise son fantasme… C'est la désillusion ! C'est la vie de Lamine. Cela m'a gêné qu'il revienne au pays. Je ne pensais pas qu'il allait revenir aussi tôt. Ce n'est pas ce que j'avais envie de dire. Je me suis dit que même Sarkozy va être content parce que la politique européenne aujourd'hui préconise que chacun doit rester chez soi. Ce n'est pas mon avis. Cela peut plaire également au pouvoir à Alger, des jeunes qui reviennent au pays après avoir tenté la migration, n'est-ce pas ? Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je ne veux pas dire « non, ne partez pas ! ». Celui qui a envie de partir qu'il parte. Je trouve scandaleux que les gens ne puissent pas circuler. La vie est certes difficile en Algérie, mais ailleurs ce n'est pas mieux non plus. Moi, par exemple, cela ne m'intéresse pas de revenir. Cela dépend de ce que l'on vit et de ce qu'on a laissé derrière soi. Cela dit, il existe en France de jeunes migrants qui vivent la misère totale à Barbès, sans papiers, mais ils ne reviennent pas. Il faut se demander pourquoi les jeunes tentent la harga. Cela veut dire que la situation est très grave. A travers Lamine, je voulais montrer la difficulté de se séparer des siens.