Leur objectif : interpeller l'opinion publique nationale et internationale sur les enjeux et défis de la migration dans un contexte de crise économique mondiale, et rappeler les attentes des sociétés civiles européennes et africaines. Cette action, qui exhorte encore fois l'Europe à une nouvelle vision de la problématique migratoire, a été lancée à la veille de la tenue de la troisième Conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement. Les délégations africaines participantes ont, lors de ce regroupement intercontinental, tenté de convaincre leurs vis-à-vis de l'autre rive nord de la Méditerranée à être moins iniques en cessant de faire de l'aide publique au développement et des accords de coopération un moyen de chantage et de pression diplomatique pour obtenir la collaboration des pays d'origine et de transit dans le contrôle en amont les flux migratoires, ont indiqué des sources du réseau euro-africain Manifeste qui milite pour la mobilité humaine. Celui-ci considère justement cette logique répressive en totale inadéquation avec l'esprit des orientations du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), «alors même que la mobilité humaine est un facteur de développement, et qu'elle est considérée par le PNUD comme facteur de développement pour les pays de départ, de transit, d'accueil, et pour les migrants eux-mêmes, et que de nombreux accords et conventions sont venus garantir cette liberté de circulation, la société civile du Nord et du Sud constate, depuis une dizaine d'années, les nombreuses entraves à cette mobilité», déplorent les activistes du Réseau, initiateur de la mobilisation euro-africaine. Pour eux, les mouvements migratoires massifs suscités par les récentes crises en Afrique du Nord ne doivent pas inciter l'Europe à accentuer sa politique d'enfermement et restreindre davantage la mobilité humaine. «Placer les populations au centre des changements économiques et politiques a certes des incidences profondes, mais il ne s'agit rien moins que de changer la manière de penser», insiste le Manifeste au slogan «Des ponts et pas des murs», reprenant ainsi l'approche conceptuelle du «Développement humain» du PNUD. Abondant dans le même sens, la Cimade regrette la logique de l'Europe qui persiste à conditionner son aide au développement à la maîtrise des migrations, assignant ses voisins du Sud aux rôles d'auxiliaires de la répression.
La Libye au cœur des débats
La Libye a été cœur des débats euro-africains. Les premières statistiques arrêtées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés avant que la crise ne s'y soit brutalement aggravée parlent d'elles-mêmes : au 11 mars 2011, plus de 230 000 personnes avaient fui la Libye vers d'autres pays de la région : 118 000 vers la Tunisie, 107 000 vers l'Egypte, plus de 2000 au Niger et plus de 4300 vers l'Algérie. Ce pays comptait environ 1,5 million de travailleurs migrants avant les évènements. La Commission européenne a déjà débloqué 30 millions d'euros début mars 2011 pour faire face à la crise humanitaire en Libye. L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, le Luxembourg et la Pologne ont également proposé des fonds au HCR pour l'aider à financer ses opérations en Libye. Paradoxalement, ce pays ne semble pas constituer une priorité dans la toute dernière Initiative européenne. En effet, l'institution européenne a proposé le renforcement de la diplomatie internationale de l'UE sur la migration et la mobilité. Les plans prévus et appelés à être discutés seront de nature à faciliter la migration légale et prévenir la migration illégale et la traite des humains. A ce titre, des partenariats de mobilité devraient être conclus, dans un premier temps, avec l'Egypte, le Maroc et la Tunisie, ont indiqué des sources concordantes du réseau Migreurop et l'agence italienne Amisnet intervenant dans le domaine des migrations. En contrepartie de leurs efforts et progrès dans la lutte contre la migration illégale, les pays du Sud bénéficieront de la facilitation des visas et d'«alléchants» nouveaux dispositifs d'aide au développement. C'est peut-être dans cette logique que la commission européenne vient de consacrer 23,5 millions d'euros à un programme d'«appui jeunesse-emploi» axé en priorité sur les questions de l'emploi des jeunes chômeurs algériens.
BEAUCOUP DE MOYENS à MOBILISER EN CES TEMPS DE CRISES
La «surenchère» version novembre 2011 de la Commission européenne, qui sera discutée en ce mois de décembre, n'est en fait que le prolongement de l'approche globale mondiale de la migration et la mobilité. Depuis 2005, date de son adoption, à ce jour, pas moins de 800 millions d'euros ont été affectés à des projets de migration dans les pays tiers. L'accent y était initialement mis sur la migration légale et illégale ainsi que sur les aspects de développement des migrations. Les changements proposés y ajoutent la protection internationale des réfugiés et la dimension extérieure de la politique d'asile de l'UE. Il s'agira notamment d'aider les Etats non membres à renforcer leurs systèmes d'asile, précisent nos sources de Migreurop. D'où seront puisés les financements nécessaires à ces projets ? L'Europe a-t-elle les moyens de sa politique ? Des questions qui s'imposent eu égard à la très grave crise financière dans laquelle elle se trouve actuellement et qui risque de durer encore longtemps. Car, outre leurs alliés du Sud non moins vulnérables, il va falloir compter sur l'irréversible agenceeuropéenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenneFrontex. Les opérations de cet élément-cle de la stratégie de sécurisation des frontières sont surtout financées par l'Italie et la Grèce, les deux pays directement concernés par les flux migratoires et les plus touchés par la crise. Pour l'Italie, la mission baptisée Hermes 2011 engagée le 20 février dernier par Frontex – qui devait s'achever le 31 mars, mais a dû être prolongée en raison des pressions migratoires induites par les révoltes arabes – risque d'être compromise. Et pour cause, dans le plan opérationnel de cette mission mis en œuvre à sa demande, l'Italie joue le rôle principal en fournissant les moyens financiers et maritimes pour détecter et prévenir des franchissements de ses frontières. Des millions d'euros ont déjà été mobilisés pour les besoins du réseau d'experts déployé afin d'identifier les nationalités des migrants et rassembler des informations sur les réseaux d'immigration clandestine. Un soutien supplémentaire est prévu pour des opérations de retour auxquelles la France va apporter son concours en fournissant des moyens aériens et des capacités d'expertise. En Grèce, Frontex a lancé, le 3 mars, l'opération conjointe Poséidon 2011 qui prend le relais de Rapid Border Intervention Teams (Rabit). La nouvelle mission, qui s'achèvera fin 2011, a pour vocation de prévenir les flux de clandestins au niveau de la frontière avec la Turquie. Au premier semestre 2011, près de 20 000 migrants illégaux ont été détectés et 34 réseaux de passeurs démantelés. La Grèce, déjà fragilisée par la crise, se retrouve ainsi engloutie dans un autre bourbier : des dizaines de milliers de demandeurs d'asile et un arriéré de plus de 50 000 dossiers. Une situation qui a nécessité la mise en place, en juin 2011, d'un bureau européen d'appui en matière d'asile pour les besoins duquel le Fonds européen pour les réfugiés a débloqué plus de 14 millions d'euros en 2011. C'est dire que le Printemps arabe est venu agiter davantage l'Europe, la poussant à suivre de très près la situation en Afrique du Nord en particulier. Plusieurs mécanismes susceptibles d'aider à circonscrire le phénomène de la migration clandestine Sud-Nord sont à l'étude. Parmi lesquels, a été proposée, début novembre, l'affectation de budgets supplémentaires pour développer le commerce et l'investissement étranger direct dans la région à court, moyen et long termes. Aussi, dans la nouvelle approche globale des migrations seront également mis en débat d'autres dispositifs pour encourager les échanges entre jeunes Européens et jeunes du sud de la Méditerranée. Aussi, les programmes de partenariat et d'assistance, en cours, seront bientôt réexaminés en vue de mieux cibler les besoins actuels de la jeunesse du Sud ; la priorité sera donnée à l'Afrique du Nord.