En dépit du fait que la Sûreté nationale soit administrativement sous tutelle du ministère de l'Intérieur, Yazid Zerhouni a fait table rase du bilan de l'institution, qui attend avec impatience le nouveau statut de la police. Le « contentieux » opposant le ministre de l'Intérieur au patron de la Sûreté nationale ne semble pas connaître son épilogue. Pour preuve, lors de son audition à la fin de la semaine écoulée, par le président de la République, Yazid Zerhouni n'a pas présenté de bilan sécuritaire ni exposé la politique de lutte contre la grande criminalité pour laquelle les services de police ont beaucoup investi. Plus intriguant est également son silence sur la mouture de l'avant-projet de statut de la Sûreté nationale qu'attendent les policiers depuis des années. Pourtant, administrativement, la Sûreté nationale dépend du ministère de l'Intérieur et en vertu du décret portant instauration de l'état d'urgence, ce département est chargé de la coordination de la lutte contre le terrorisme et, à ce titre, c'est lui qui dresse le bilan de la situation sécuritaire sous tous ses aspects. Devant le Président, Yazid Zerhouni en a étonné plus d'un en se limitant uniquement aux codes communal et de wilaya ainsi qu'aux projets de mise en circulation des passeports biométriques et de la carte d'identité électronique dont il ne cesse de parler depuis des années. Il a fait table rase de toutes les questions brûlantes liées à la criminalité organisée galopante et à la recrudescence des attentats terroristes pendant la saison estivale. Est-ce pour éviter d'aggraver la crise latente qui « empoisonne » ses relations avec Ali Tounsi, directeur général de la Sûreté nationale ? « Oui », affirment des sources proches de l'institution policière, pour lesquelles le « contentieux » qui oppose les deux responsables depuis plusieurs mois « n'est pas encore assaini ». D'un côté, un DGSN qui digère mal « la réhabilitation » du directeur des renseignements généraux (RG) d'Oran contre lequel il a déposé plainte, et de l'autre, un ministre qui croit dur comme fer que « les dossiers confectionnés contre certains cadres de la sûreté relèvent du complot ». En demandant la relève de l'ex-directeur des renseignements généraux au niveau de la DGSN, en décembre 2008, Ali Tounsi ne pensait certainement pas que cette mesure allait susciter des réactions en chaîne de responsables d'autres institutions, à l'origine d'ailleurs du retard (de plusieurs mois) de la signature du décret. Durant cette attente, le mis en cause poursuivra sa mission contre la volonté de son chef hiérarchique avec lequel la confiance a été rompue. Pourtant, jamais un cadre n'a été aussi proche du DGSN que ce directeur, qui cumule onze années à la tête de ce service considéré comme étant la colonne vertébrale de la Sûreté nationale. Mieux, cette confiance du « boss » lui a permis de bénéficier de tous les pouvoirs pour restructurer les services des RG au niveau national. Sa stratégie est de retirer ces derniers de l'emprise des chefs de sûreté de wilaya et de les mettre progressivement sous les ordres de sa direction, qui n'a de comptes à rendre qu'au DGSN. Au fil du temps, cette « autonomie » a fait perdre à Ali Tounsi tout contrôle sur les RG, contre lesquels des plaintes en cascade atterrissent sur son bureau. Une enquête est alors ouverte par l'inspection générale – une sorte de police des polices – sur le directeur central et les conclusions auraient révélé de « graves dérives », notamment « la confection de faux rapports » sur des personnalités et des cadres de l'Etat, poussant Ali Tounsi à demander sa relève. Mais la demande est restée en instance du fait du veto du ministre de l'Intérieur. Profitant de cette attente, l'inspection générale a étendu son enquête sur les services des RG au niveau de plusieurs wilayas, notamment à l'est du pays, où l'ancien directeur compterait, nous dit-on, le plus grand nombre de ses hommes de confiance, pour ne pas dire ses hommes de main, relevés de leurs postes pour avoir, entre autres, « rédigé de faux rapports pour soient protéger des hommes d'affaire au parcours douteux ou au contraire pour accabler ceux connus pour leur probité ». A Annaba, le passage des enquêteurs fait tache d'huile, dans la mesure où il est suivi par la mise en fin de fonctions du patron du Service régional des renseignements et recherches opérationnelles (SRRRO) qui chapeaute trois wilayas. La décision de dissoudre ce service ou de le rattacher aux brigades de recherche et d'investigation (dirigées par le police judiciaire, le service auquel les enquêtes sur les RG ont été confiées) fait son chemin, d'autant qu'il a été au centre d'un scandale après la suspension de son responsable, lui-même accusé par son prédécesseur (qui purge une peine de trois ans) de l'avoir mis en prison, « parce qu'il gênait ses affaires ». Dans le cadre de cette « chasse aux sorcières », l'ancien directeur des RG d'Oran est suspendu de ses fonctions puis poursuivi en justice. Un jeune officier de police d'Oran aurait fait des révélations sur de « faux rapports rédigés » contre certaines personnalités de l'Etat « à l'instigation du chef des RG ». Une équipe de la police judiciaire est alors dépêchée d'Alger, sur instruction du DGSN, pour perquisitionner le bureau du responsable des RG, où une dizaine de grammes de kif ont été trouvés. Mis sous mandat de dépôt et maintenu en détention pendant plus de 4 mois, le chef des RG est jugé puis relaxé faute de preuves. Pour le mis en cause, il s'agit d'un « règlement de comptes » et, à ce titre, il est allé se plaindre auprès du ministre de l'Intérieur, dont le bureau est de plus en plus assailli par les plaintes de nombreux cadres suspendus. M. Zerhouni ouvre une enquête. Il convoque à son bureau plusieurs responsables et fonctionnaires de la police pour les entendre un par un, provoquant le courroux de Ali Tounsi. Les relations entre les deux hommes deviennent de plus en plus tendues au point que Zerhouni, un habitué des cérémonies de sortie de promotion de la Sûreté nationale, surprend tout le monde, au début du mois d'août, par son absence, mettant mal à l'aise le DGSN qui, dans son communiqué de la veille, avait annoncé la présence de l'invité. Le mouvement dans les rangs de la Sûreté nationale préparé par Ali Tounsi est mis au vert, aggravant la situation d'incertitude et d'inquiétude que subissent les cadres de l'institution. En dépit de la médiation entreprise pour mettre fin à la crise entre les deux hommes, les relations restent très tendues. Ali Tounsi a du mal à accepter que le divisionnaire des RG d'Oran se voie gratifier d'un poste d'adjoint au chef de sûreté de wilaya alors que le directeur de la police judiciaire (divisionnaire aussi), qu'il a chargé d'enquêter à Oran, s'est vu notifier une fin de fonctions. Ce qui l'a poussé à parler de « conspiration » contre l'institution. Pour l'instant, rien n'indique que le ministre de l'Intérieur et le DGSN aient assaini leur contentieux. En attendant, c'est l'institution qui subit de plein fouet les retombées négatives de cette crise à travers le retard dans l'exécution du mouvement dans ses rangs et la remise aux calendes grecques de l'examen d'un nouveau statut pour ses fonctionnaires. Faut-il attendre le remaniement partiel prévu avant la fin de l'année pour mettre un terme à ce climat de tension qui n'a que trop duré ? La question reste posée…