Dans trois semaines, c'est-à-dire le 20 mars prochain, Ali Tounsi ou, comme l'appelaient ses anciens compagnons d'armes, le colonel Ghaouti, aurait bouclé ses quinze années à la tête de la Sûreté nationale, l'une des plus importantes institutions républicaines. Il avait été désigné à ce poste par l'ancien président de la République, Liamine Zeroual, pour succéder à Mohamed Tolba, dans un contexte marqué par la recrudescence des attentats terroristes visant notamment les policiers. Son parcours, en tant qu'adjoint à la Sécurité militaire et auparavant dans les rangs de l'ALN, lui permet de réorganiser les services de police à travers l'acquisition de moyens, le recrutement et la modernisation. Beaucoup lui reconnaissent son « courage » dans les moments les plus difficiles que la Sûreté nationale a connus en défendant la mémoire de ses martyrs et surtout en accordant à leurs familles le soutien et la solidarité qu'elles méritent. Ses relations tumultueuses avec ses cadres ont tantôt provoqué les pires critiques, tantôt des hommages. Son intransigeance et son caractère d'homme qui ne recule jamais lui ont fait perdre l'estime de certains de ses subordonnés. Et parmi ces derniers, au moins une vingtaine – y compris au sein de ses plus proches collaborateurs – a été relevée et bon nombre ont été poursuivis avant d'être blanchis par les tribunaux. Le sentiment d'injustice a pesé lourdement, au point où la démobilisation a fini par paralyser l'élan professionnel de nombreux fonctionnaires. Néanmoins, son sang-froid face aux crises a fait de lui, pour beaucoup d'observateurs, un dirigeant à poigne, discipliné et respecté. Ali Tounsi a toujours déclaré qu'il était le « seul syndicat » au sein de la police, refusant toute reconnaissance d'une action syndicale. Pour cela, il a axé ses efforts sur l'amélioration des conditions de travail et surtout sur le renforcement des unités et la mise en place de structures de prise en charge psychologique. Il a également tout fait pour arracher quelques augmentations salariales, bien que le statut qu'il a élaboré et présenté au gouvernement n'a toujours pas été adopté. En 1997, il a eu à survivre au conflit qui l'a opposé aux services des Douanes lorsque la décision de désarmer les douaniers au niveau des ports (prise par les autorités) lui a été transmise pour exécution. Des incidents entre les agents des deux institutions se sont soldés par un mort, un douanier tué au port de Béjaïa. Une grève générale de protestation a paralysé tous les services des Douanes, créant un climat très tendu dans le pays. Tous les médias avaient alors annoncé le départ de Ali Tounsi, vu la gravité de la situation. Mais ce dernier est resté à son poste. Il a survécu à la tempête. L'affaire de la dame à la Polo rouge, la lettre signée contre lui par une cinquantaine de ses cadres n'ont pas perturbé sa volonté de poursuivre sa mission à la tête de la Sûreté nationale. Une mission qui va connaître malgré tout des moments difficiles, l'été dernier. Ses relations avec le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, se détériorent à cause de quatre de ses hommes de confiance qu'il voulait à tout prix maintenir à leurs postes en dépit de dossiers compromettants détenus par le ministre. Nombre d'observateurs voyaient pour imminent son limogeage ou sa démission. Surprise, il est sorti de sa réserve pour déclarer publiquement : « Je ne démissionne pas. Un moudjahid ne démissionne jamais. » Il a mis fin à toutes les spéculations, mais pour quelques mois seulement. A la fin de l'année 2009, ses relations avec le ministre de l'Intérieur sont restées tendues. Il y a quelques jours, l'un des cadres suspendu par M. Zerhouni a été nommé par le défunt à la tête de la sûreté de wilaya de Tipasa. Une décision annulée, dit-on, par Y. Zerhouni trois jours plus tard. Encore une autre tempête, mais qui n'a pas soulevé de vagues. Ali Tounsi est mort entre temps. Ses plus fidèles parlent de lui comme d'un patron qui a su relever des défis en dépit de toutes les erreurs en matière de gestion de la ressource humaine. Il a réussi à rehausser la Sûreté nationale au rang de ses homologues du Bassin méditerranéen par sa dotation d'un laboratoire de criminologie des plus modernes et l'informatisation d'une bonne partie de ses services. Il a le mérite d'avoir ouvert les rangs de la police à la femme algérienne qui, désormais, occupe tous les postes au sein de l'institution sans aucune discrimination. Ali Tounsi a su diriger cette armée de policiers même si, durant ses 15 années de règne, il a fait des dizaines de contestataires, dont certains ont fini par succomber à leur désarroi ou, au mieux, par s'exiler pour mieux panser leurs blessures. Ceux qui l'on connu de très près, loin de son métier, disent de lui qu'il était fan de peinture. Il ne ratait que rarement les vernissages ou les expositions d'artistes. Très serviable, il répondait souvent favorablement aux demandes de sponsoring pour les activités caritatives et sportives. Il aimait beaucoup le tennis, une discipline qu'il n'a jamais abandonnée, lui qui avait dirigé, il y a des années, la Fédération de tennis. Ses rencontres avec les journalistes ont été souvent intéressantes parce qu'il savait donner les réponses à même de mettre un terme à des sujets brûlants. « En dépit de ses frasques, de ses bourdes, de ses erreurs, les 170 000 hommes qu'il dirigeait n'hésitaient pas à lui faire le salut militaire parce qu'il était un homme discipliné, qui aimait la discipline. Elle était sa force qui forgeait le respect que nous lui vouons tous », conclut un divisionnaire qui l'a côtoyé durant ces 15 années.