Les lendemains d'Aïd, chez nous, deviennent de plus en plus difficiles à vivre. Non seulement parce que la trêve des vendeurs de kalb ellouz – cette confiserie ramadhanesque – se prolonge bien au delà des deux journées de fête. Les étals des marchés sont vides, le lait et le pain se font rares, les commerces sont fermés. Les Algériens savent depuis quelque temps à quoi s'attendre avec la fin du mois de jeûne. Même si certains citoyens prennent leurs dispositions pour faire face à cette situation, les appréhensions et les inquiétudes demeurent. Mais aussi parce qu'ils savent qu'il va falloir maintenant affronter la véritable rentrée et, plus particulièrement cette année, durement éprouvés par un mois de Ramadhan remarquable par la flambée des prix qui l'a accompagné. Dans un contexte aussi difficile, ils ont fini par accepter de ne rien attendre des pouvoirs publics pour remédier à ces dysfonctionnements qui font désormais la normalité mal acceptée et subie. Un Ramadhan est donc passé, ponctué cette année par la grosse diversion de la rentrée scolaire autour des blouses que, dorénavant, doivent obligatoirement porter les élèves. Tellement grosse qu'elle a fini par cacher de graves atteintes à la liberté d'expression qui ne semblent avoir ému personne. C'est encore une fois de censure qu'il s'agit. Darna lekdima (notre vieille maison) du réalisateur Lamine Merbah, un feuilleton programmé par la Télévision nationale, n'a eu droit qu'à la diffusion complètement « chahutée » au cours de ce Ramadhan. Un épisode a été carrément censuré – retiré de la diffusion – sur les quatorze autres, passablement « charcutés » au demeurant, que compte l'œuvre du réalisateur algérien qu'il est inutile de présenter. Auteur de films remarquables des années 1970, Les Déracinés ou Les Spoliateurs, il est peut-être au cinéma algérien ce que Antonioni est au cinéma italien. Lamine Merbah a été spolié de son film qui traite de questions d'actualité, de la réconciliation et des difficultés qu'elle soulève au sein de la société algérienne. Sans doute la manière de les aborder par le réalisateur-scénariste n'a pas plu en haut lieu, comme on dit, au point de susciter un cas de censure sans la moindre explication et sans que personne n'y trouve à redire, si ce n'est le concerné, Lamine Merbah lui-même, qui s'est adressé aux téléspectateurs par lettre ouverte. La manière autoritaire avec laquelle la sanction s'est abattue sur Darna lekdima et l'absence de réaction qui l'a entourée laisse en tout cas perplexe. Non pas que l'on s'attendait à voir un député interpeller la ministre de la Culture sur ce comportement arbitraire, mais tout de même... Les apparences auraient pu être sauvées si les explications avaient suivi ces « incidents techniques » qu'a connu la diffusion de ce téléfilm, d'autant qu'une partie de la presse s'est fait l'écho de l'évènement. Loin s'en faut, plus grave encore, personne n'a osé demander pourquoi. On aura tout de même compris qu'il n'était pas permis d'avoir la moindre réserve ni d'émettre le moindre doute sur la politique de réconciliation nationale et son application sans courir le risque de subir les foudres d'en haut.