Les hémophiles sortent de plus en plus de l'ombre pour dénoncer l'Etat et leurs conditions de prise en charge, mais, dans leur quasi-majorité, ils préfèrent garder l'anonymat. Les préjugés sociaux, les tabous, les qu'en-dira-t-on semblent omniprésents, mais, surtout, ils ont peur de parler, de se faire remarquer et d'en subir les conséquences que peuvent avoir leurs déclarations sur l'accès aux soins, nous confient-ils. A défaut d'une association capable de servir de relais pour se faire entendre et faire valoir leurs droits et revendications, à l'instar de tous les autres malades, les hémophiles n'ont eu d'autre choix que de rester à l'écart et d'en subir un vécu douloureux, celui d'un malade chronique sans assistance. victimes de l'oubli « On est victimes de l'oubli et de l'abandon, et ce pendant très longtemps. Sans service hospitalier, sans praticiens spécialistes, sans association, sans moyens appropriés de prises en charge médicale, sociale et psychologique, l'hémophile se trouve seul à faire face à sa maladie. Il est temps qu'on soit considérés comme des malades à part entière », confie M. Métri, hémophile désabusé par une dure et longue expérience avec la maladie et le service hospitalier qui assure sa prise en charge. Ayant pris attache avec le médecin-chef dudit service, pour avoir l'avis du professionnel sur l'état de prise en charge de ces malades, ce dernier a préféré nous orienter vers l'association, (une association qui n'existe plus). Car, selon lui, il n'était pas apte à se prononcer sur la question, surtout que son service n'est pas fonctionnel depuis des années. Il faut savoir que le service d'hématologie du CHUO, censé prendre en charge cette catégorie de malades, et pour cause de travaux de réfection, se trouve fermé depuis près de trois ans. Seul un hôpital de jour est fonctionnel. Mais dans quelles conditions ? « Un malade qui souffre de douleurs atroces ne peut bénéficier de soins s'il dépasse 16 heures, et ce pour cause d'une fameuse note réglementaire », explique notre interlocuteur. « On n'est même pas reconnu comme malades chroniques par la CNAS. Et nous ne bénéficions pas de la gratuité des soins qui nous sont indispensables tout au long de notre vie. Il y a une vraie banalisation de la maladie et de la souffrance que peut endurer le malade. Le malade se retrouve parfois à supplier et à implorer le praticien pour qu'il ait pitié de sa douleur et qu'il lui prescrive le facteur 8. Signalons que ce produit vital pour tout hémophile est fréquemment en état de rupture. Et s'il est délivré, ce n'est que pour les grandes urgences. Car les praticiens ont tendance à faire des économies et des restrictions dans la délivrance du facteur 8, même si cela doit se faire au détriment du malade », poursuit M. Métri. Notons que le facteur 8 est, depuis près d'un mois, indisponible au niveau du CHUO. Le dernier petit quota (53 boites de 500 unités) reçu par le CTS, a été vite consommé, vu la grande demande. « Le CTS reçoit des malades de toutes les wilayas de l'Ouest, alors que chacune d'elles doit répondre, par le biais de ses services hospitaliers, à la demande de ses malades », souligne un employé du centre. les ruptures fréquentes Les conséquences de cet état de fait, dont les fréquentes ruptures, sont bien sûr subies par les hémophiles de la wilaya d'Oran qui doivent attendre jusqu'au prochain approvisionnement du centre par l'Institut Pasteur d'Alger. « Des fois, notre attente peut aller jusqu'à deux à trois mois », relève M. Métri. La consommation pour les 64 malades adultes, approvisionnés en facteur 8 au niveau du CTS en 2004, était de 1 408 boites de 500 unités, alors qu'elle était de 684 en 2001. Signalons qu'il nous était difficile d'avoir le nombre exact des hémophiles que compte la wilaya. Ils sont près d'une centaine entre enfants et adultes à s'approvisionner en facteur 8 au niveau de l'EHS pédiatrique de Canastel et le CHUO. L'hémophilie est cette maladie héréditaire qui se traduit par une incapacité du sang à coaguler. Elle atteint, dans ses formes A et B, une proportion plus élevée d'hommes que de femmes. « La coagulation sanguine est assurée dans l'organisme par les plaquettes qui jouent un rôle fondamental dans l'arrêt des saignements. Les facteurs de coagulation (facteur 8 et facteur 9) sont ensuite requis pour maintenir et terminer la coagulation du sang. Chez les hémophiles, ces facteurs sont déficients. Le processus s'effectue donc beaucoup plus lentement que normalement. Sans traitement approprié, le saignement pourrait se poursuivre pendant des jours, voire des semaines », explique un spécialiste. l'avis des spécialistes Les saignements allant des gencives jusqu'aux types les plus graves pouvant mettre la vie du malade en péril, sont les signes de la maladie. Ces saignements affectent les articulations, dont les chevilles, les genoux, les hanches, les coudes et les épaules. « A long terme et sans traitement et suivi médicaux, une réduction de l'amplitude des mouvements et la destruction des articulations en sera le résultat. Ceci se manifeste par une sensation de compression au niveau de l'articulation, puis par une enflure et une douleur lors de la flexion ou de l'extension complète. À mesure que le saignement se poursuit, l'enflure augmente, la douleur s'intensifie et l'articulation devient fixe », poursuit notre interlocuteur. Les hémorragies résultent habituellement d'un traumatisme léger qui survient lors d'une activité physique comme le sport. Donc, au moindre mouvement, l'hémophile risque des traumatismes et des hémorragies. Cependant, les personnes gravement atteintes peuvent subir plusieurs hémorragies par mois. Des saignements qui sont souvent spontanés et se produisent sans traumatismes ni blessures apparentes. Une maladie qui oblige l'hémophile à suivre un mode de vie statique et sans mouvement. Ceci dit et contrairement à certaines croyances populaires, « l'hémophilie n'est pas fatale. Avec un traitement approprié, elle peut être bien maîtrisée. Mais à condition que les soins d'une équipe médicale complète et spécialisée soient assurés. Une prévention des hémorragies doit aussi se faire avec l'administration du facteur 8. Un traitement qui réduit les séjours à l'hôpital et permet aux hémophiles de vivre une vie plus normale. Il se trouve que, chez nous, les hémophiles ne disposent même pas d'un service d'hospitalisation, encore moins d'une disponibilité régulière du facteur 8 », conclut le praticien.