Dans cette perspective, il a élaboré un nouveau code de la famille, «la mouadawana», code interdisant la polygamie et repoussant l'âge du mariage pour les femmes à 18 ans. Le souverain a aussi organisé un débat national sur la question des droits de l'homme et fermé les sinistres lieux de détention, comme Tazmamart. Il a créé à cet effet l'«Instance équité et réconciliation» pour enquêter sur les violations des droits de l'homme. Ces mesures furent perçues comme une grande avancée porteuse d'un grand espoir d'ouverture politique pour toute la région. Mais, une fois que l'image d'un roi réformateur fut renforcée aux yeux de l'opinion internationale, ce processus fut brutalement interrompu, comme ailleurs dans les régimes autoritaires. La presse privée, qui était porteuse d'espoir de changement profond, a presque disparu aujourd'hui du champ médiatique. Le système contrôlé de la publicité, qui lui assurait une survie à doses homéopathiques, a été bloqué, des journalistes furent entre-temps traduits devant les tribunaux. Sous la pression du «printemps arabe», le processus de réformes politiques est toutefois rapidement relancé dans plusieurs pays de la région. Le roi Mohammed VI a ainsi promis, lors de son discours du 9 mars 2011, un autre train de mesures, dont des élections législatives anticipées devant conduire à «un Parlement issu d'élections libres et sincères». La nouvelle Constitution, initiée par le monarque, est approuvée massivement par référendum le 1er juillet 2011. Comme grande nouveauté, cette Constitution consacre tamazight, en opposition aux propositions des islamistes, comme langue officielle à côté de l'arabe. Ce document prévoit aussi, pour la première fois, que le Premier ministre sera choisi au sein du parti arrivé en tête (article 47) alors que «la démocratie algérienne» n'oblige pas le chef d'Etat à choisir le gouvernement à l'intérieur de la majorité parlementaire. A la différence des autres autoritarismes, le Maroc n'est pas face à un régime sclérosé et vieillissant. Depuis plus de dix ans, les réformes sont continues dans ce pays. Avec l'«alternance consensuelle», les réformes se sont étendues au politique et plus précisément aux modes de gouvernement. Le souverain alaouite conserve toutefois des prérogatives très étendues dans tous les domaines touchant à la souveraineté nationale. Il préside le Conseil des ministres, reste chef des armées, des autorités religieuses et de l'appareil judiciaire. Il est aussi le principal actionnaire dans plusieurs grandes entreprises industrielles et de banques du pays. En un mot, le Maroc s'oriente pas à pas vers une monarchie parlementaire où le roi règne sans gouverner, mais vers un nouveau régime autoritaire consacré dans les articles 41 et 42. La classe politique, selon Mohamed Tozy, n'est pas mûre pour l'avènement d'une monarchie parlementaire. Le Mouvement du 20 Février L'insuffisance des réformes promises est à l'origine de la montée du mouvement de protestation sous la direction du Mouvement du 20 Février 2011 qui a appelé au boycott du scrutin du 25 novembre 2011. Au Maroc, le mouvement social n'est pas récent, il n'est pas né en 2011. Le Mouvement du 20 Février a seulement amplifié les revendications pour l'accès effectif à l'éducation, à la santé, à l'emploi et pour une plus grande justice sociale. Ce mouvement a permis l'expression d'un sentiment généralisé d'humiliation, d'un quotidien fait de passe-droits, de privilèges et tracasseries bureaucratiques. Cette nébuleuse hétéroclite, soutenue par le prince Moulay Hicham (le cousin du roi), réclame de profondes réformes politiques, la limitation du pouvoir du roi, à l'image du roi d'Espagne. Au lendemain de la tenue de ce scrutin, le Mouvement, secoué par des immolations de jeunes chômeurs, a relancé ses actions en dépit du retrait des groupes politiques, notamment des islamistes et des démocrates. La montée des islamistes Le Parti pour la justice et le développement (PJD) est historiquement l'émanation d'un parti politique, largement intégré au paysage politique marocain, le «Mouvement populaire constitutionnel et démocratique» (MPCD), créé en 1967, dont le fondateur, Abdelkrim Al Khatib, était un homme du Makhzen. La mutation du mouvement d'Al Khatib vers le PJD, en 1998, a été négociée sous la houlette du Palais par l'ancien ministre de l'Intérieur du roi Hassan II, Idriss Basri. Le PJD ne conteste d'ailleurs pas l'institution royale, encore moins le statut de «Commandeur des croyants» (Amir Al Mouminine) du souverain à la différence du parti d'Al Adl Wal ihsanne, (Justice et bienfaisance). L'islamisme du PJD est bien encadré dans le jeu politique du Makhzen, ce n'est pas le cas de l'islamisme institutionnalisé algérien qui reste rebelle. Le souverain demeure toutefois vigilant selon des câbles diplomatiques révélés par Wikeleaks. Au niveau international, le MEPI (Middle East Partnership Initiative), a, dès 2006, reconnu publiquement le soutien financier et logistique accordé par l'administration Bush aux islamistes marocains et autres. Le PJD est considéré comme un excellent rempart contre les groupes salafistes et djihadites pouvant ébranler la «paix sociale» au sein d'une société très inégalitaire et féodale dans son fonctionnement. Sans grande surprise, le PJD, au lendemain de sa victoire électorale, ainsi que les autres islamistes de la région, ont rassuré les Occidentaux que leur islamisme s'accommode très bien de la démocratie européenne, type «démocratie chrétienne». L'Islam modéré, par opposition à l'Islam messianique, a été un courant idéologique faible au sein de l'establishment sous George Bush. Le Think tank, Carnegie Endowment for International Peace, a été un grand porte-parole de cette mouvance. Ce courant devient dominant avec Barak Obama et a gagné rapidement en crédibilité au sein de l'opinion internationale. Les enjeux législatifs de 2011 Une trentaine de partis politiques se sont affrontés pour les 325 sièges de la Chambre des représentants. Deux grands blocs étaient favoris, d'un côté, les islamistes du Parti pour la justice et le développement (PJD) menés par Abdelilah Benkirane, de l'autre, la Coalition pour la démocratie, dite «le G8», d'inspiration libérale, composée de huit partis proches de Mohammed VI. Au sein de cette coalition, deux partis sont considérés comme particulièrement puissants, le Parti de l'authenticité et de la modernité (PAM), fondé en 2008, par des députés issus d'autres partis proches de la monarchie et le Rassemblement national des indépendants (RNI), dirigé par Salaheddine Mezouar, ministre des Finances. Pour le souverain, l'enjeu fondamental de ce scrutin anticipé est de conquérir une plus grande légitimité dans un contexte régional en révolte. Le taux de participation reste l'indice de cette légitimité. Rappelons qu'en 2002, le taux officiel de participation était 48%, il avait chuté à 37% en 2007. La profonde désaffection électorale au Maroc s'explique par le sentiment que les scrutins ne changent pas fondamentalement la vie des citoyens. Elle s'explique aussi par le fait que l'élite politique, corrompue et kleptomane, ne véhicule pas les véritables enjeux de la société. Les populations perçoivent les candidats non comme leurs représentants, mais comme des courtiers du souverain. Le pouvoir réel ne se trouve pas dans les assemblées électives, mais au sein de réseaux de prébendes du Makhzen. Le second enjeu important de ce scrutin est associé au renouvellement et au rajeunissement du personnel politique dont l'Assemblée nationale est le lieu d'expression par excellence. Plus de 80% des candidats de 2011 se présentent pour la première fois aux législatives. En réalité, ce rajeunissement tente d'intégrer au jeu politique du Makhzen la jeune élite bardée de diplômes issue des grandes écoles, locales et occidentales. «Gouverner sans politique», tel est le nouveau crédo du Palais. Pour rappel, le Parlement algérien (2007-2012) compte plus de 80% d'universitaires, il reste toutefois une Chambre de résonance, une institution entérinant les décisions du gouvernement. La question générationnelle se trouve pervertie par la fraude électorale dans un environnement néo-patrimonial. Les résultats des législatives La participation, qui a été plus forte dans le «Maroc profond» que dans les grandes villes, a atteint 45,4%, contre 37% en 2007. Cette participation reste néanmoins faible, plus de la moitié des électeurs n'ont pas voté, sans compter le vote par procuration accordé à la diaspora. Le PJD a remporté 107 sièges sur 395 alors qu'il ne comptait que 47 députés dans la précédente assemblée. Représentant plus de 20% de l'Assemblée, les islamistes vont donc diriger le gouvernement pour la première fois de l'histoire moderne du royaume. Le parti Istiqlal (indépendance) de l'actuel Premier ministre, Abbas El Fassi, obtient 60 sièges, suivi par le Rassemblement national des indépendants (RNI) du ministre de l'Economie et des Finances, Salaheddine Mezouar, 52 sièges. Leurs adversaires du G8, alliance d'inspiration libérale composée de huit partis proches du palais royal, ont remporté 112 sièges. Le succès du PJD et «le Maghreb sécuritaire» Le succès du PJD est perçu beaucoup plus comme un vote sanction (contre les anciens partis) qu'une victoire islamiste. Comme illustration, Casablanca, la capitale économique du Maroc, qui était jusqu'alors un fief des socialistes, est passée entièrement sous la houlette des islamistes. Le PJD a fait preuve non seulement d'une bonne organisation, mais aussi d'une grande capacité de mobilisation pendant la campagne électorale. De par les moyens mobilisés, il s'est trouvé pratiquement seul sur le terrain. Si les islamistes bénéficient d'un électorat fidèle et discipliné, tel n'est pas le cas des «formations démocrates», dont les sympathisants figurent parmi les 8 millions de non inscrits et/ou des 55% d'abstentionnistes. Le RNI avait comme seule stratégie électorale d'isoler le PJD, devenu de ce fait, aux yeux de l'opinion publique, «la victime du Maghzen». Le PJD est également un parti au discours populiste, très simple et aux «idées infantiles», telles que véhiculées dans le slogan : «La solution est l'Islam». Il a aussi bénéficié du concours des «frères ennemis», des militants du Cheikh Yacine, chef d'Al Adl Wal Ihssane. Plus fondamentalement, le parti de Benkirane a présenté des candidats plus crédibles aux yeux des électeurs que ceux des autres partis. Dans un climat délétère, la couleur politique du candidat importe peu, ce qui compte le plus, c'est sa crédibilité. La victoire des islamistes en Tunisie et en Egypte repose également sur ces mêmes données sociologiques, comme ce fut le cas d'ailleurs en Algérie en 1991. Toutefois, sans le soutien des Etats du Golfe et des ONG occidentales, le PJD, à l'image des autres partis islamistes, n' aurait pas mené une grande campagne électorale de type américain. La victoire du PJD intervient un mois après celle du mouvement islamiste Ennahda en Tunisie et quelques jours seulement avant de la victoire des islamistes en Egypte. Auparavant, le CNT (Conseil national de transition) a déclaré après le lynchage du Colonel Mouammar El Gueddafi, que «la charia serait de rigueur en Libye». A ce rythme, la déferlante islamiste emportera dans un avenir très proche les pays du sud de la Méditerranée. «Le Maghreb islamique» risque de se réaliser avant le «Maghreb citoyen» puisque le «Maghreb sécuritaire», sous la direction de l'OTAN, reste l'enjeu fondamental de la nouvelle configuration en perspective. La première question cruciale qui taraude les esprits est de savoir si les islamistes mettront en application la charia, comme la loi fondamentale du pays, particulièrement dans les pays ayant une industrie touristique. Les islamistes en Tunisie, en Egypte et au Maroc vont-ils s'attaquer à l'industrie touristique représentant respectivement 7% 11,5% et 14% du PIB, comme ce fut le cas des islamistes algériens quand ils avaient fait fuir les quelques touristes au début des années 1990. Comme second souci, les islamistes dont la verticalité du pouvoir est au centre de leur vision de changement accepteront-ils de céder le pouvoir en cas de défaite électorale, sachant qu'ils considèrent le jeu politique comme une ruse, comme nous l'enseigne Machiavel ? De nombreux observateurs répondent, au regard de l'expérience turque, par l'affirmative. Cette position relève beaucoup plus de la politique politicienne que de la l'analyse rigoureuse du processus de formation des nations. En Turquie, ce processus ininterrompu est aujourd'hui achevé dans sa première phase. Ce n'est pas le cas des pays arabes pour qui le mouvement social est en train d'activer et de se relancer dans un environnement international très difficile. Un autre élément explicatif se trouve dans le processus de socialisation des islamistes. Les islamistes, au même titre que les anciennes élites, sont issus de la culture ambiante de l'autoritarisme dans un contexte où le pouvoir kleptomane régule la vie des citoyens. Le leadership islamiste algérien est issu du sérail du système du parti unique, à l'image du leadership marocain issu du Makhzen.