Réuni hier en session extraordinaire, le conseil national de ce parti a voté à l'écrasante majorité la décision de participer aux élections dont le rendez-vous est fixé au 10 mai prochain. Réhabilitation du politique et de la lutte pacifique sont les maîtres mots de cette décision, comme le souligne dans son message, adressé aux membres du CN, le président du Front des forces socialistes. «La participation à ces élections est une nécessité tactique pour le FFS qui s'inscrit en droite ligne de notre stratégie de construction pacifique de l'alternative démocratique à ce régime despotique, destructeur et corrompu», indique Hocine Aït Ahmed dans son message. Il dit aussi comprendre ceux qui craignent «la puissante attractivité de la mangeoire du régime». «Ceux-là, je les comprends, je partage leur souci et je les rassure : nous pouvons, nous devons et nous allons nous donner les moyens du contrôle de notre participation. Cette participation a tiré les enseignements de nos lacunes de 1997 et nous allons tout mettre en œuvre pour les combler», affirme Aït Ahmed. Il assure que ce ne sera pas pareil, parce que, dit-il, «notre but ne réside pas dans un quota de sièges à atteindre. Notre but est dans la remobilisation politique et pacifique de notre parti et de notre peuple. C'est là l'essentiel de notre décision. Remettre du mouvement dans le statu quo». Le président du FFS estime que «le pouvoir a conduit le pays dans une impasse. Une triple impasse : celle du pouvoir, celle du pays et celle de la Kabylie. Le démantèlement du politique partout dans le pays a particulièrement ciblé la Kabylie par ce qu'elle a pendant des décennies constitué le réservoir de la mobilisation démocratique et de la contestation politique du pays». «Nous n'avons pas de leçon à recevoir» «Ces vingt dernières années ont constitué une régression phénoménale dans tous les domaines à l'échelle nationale. Le renforcement du régime s'est fait dans le sillage du démantèlement de structures de l'Etat partout à travers le pays. En Kabylie, c'est également au démantèlement d'une organisation et d'un engagement politique de la population qu'il a été procédé, car ces derniers s'étaient maintenus dans la région contre vents et marées», note Aït Ahmed. Fort de son long et riche parcours de militantisme et de combat pour la démocratie, le FFS, dit Aït Ahmed, n'a pas de leçon à recevoir. «Il est exclu que quiconque nous donne des leçons en politique, en démocratie, en militantisme, en patriotisme ou en takbaylit», lance le leader politique à l'adresse notamment des partisans du boycott qui se risquent à accuser le plus vieux parti de l'opposition de compromission. «Nous n'avons aucune leçon à recevoir ni de ceux qui veulent nous apprendre comment défendre notre parcours – qu'ils n'ont pas – ni de ceux pour qui l'engagement ne fut qu'une alternance de trahisons. Trahir une cause puis une autre avec l'irresponsabilité politique, l'outrance verbale et le mensonge comme seules constantes», affirme-t-il, non sans cacher son aversion face aux traîtres de tout bord. Dans le long message explicatif de la décision de participation aux élections, Aït Ahmed n'a pas épargné le régime à qui il renvoie le désastre comme bilan et avec lequel aucune once de convergence de vue ne peut se concevoir. «Depuis un an, depuis l'éclosion des révoltes populaires dans le Monde arabe, on ne cesse de nous poser la question : pourquoi l'Algérie ne fait pas comme les autres pays de la région ? Notre réponse a toujours été très claire : il existe une voie algérienne vers la libération de la dictature comme il a existé une voie algérienne pour la libération du colonialisme», souligne Aït Ahmed qui estime que se libérer du joug de la dictature est d'égale valeur que la libération du joug colonial. «Si la voie pacifique a échoué à libérer l'Algérie de la colonisation française pour laisser la place à la lutte armée, la voie de la violence a échoué à libérer l'Algérie de la dictature, du sous-développement et des menaces extérieures et doit laisser place à la lutte politique au sens le plus sérieux du terme», affirme le leader historique. Ce dernier, qui semble faire le bilan des 50 années du régime, estime que «c'est d'abord la voie de la violence du régime qui a échoué. La violence de la prise du pouvoir par la force. La violence de la répression des libertés, la violence de la dépossession du peuple algérien de son droit à l'auto-organisation, la violence de l'exclusion politique et donc économique et culturelle. Puis est venue la violence de la sale guerre avec son lot de haine, de brutalité inouïe, de révisionnisme intolérable qui ont réhabilité les conduites méprisantes et les discours néocolonialistes les plus scandaleux». Et d'ajouter : «Derrière la guerre au terrorisme et derrière l'alibi du néolibéralisme économique, le pays a été renvoyé plusieurs siècles en arrière.» Le président du FFS dénonce : «Il y a des régions d'Algérie qui sont aujourd'hui passées sous le contrôle quasi total des mafias, des régions où la notion d'Etat n'existe presque plus. Des potentats locaux et des seigneurs de guerre font régner leur propre loi en s'appuyant sur leurs hommes de main. Certains rêvent peut-être de cela en Kabylie. Certains voient dans cette déliquescence la forme idéale d'autonomie pour nos sociétés en sous-développement accéléré. La voie de l'écrasement de l'encadrement politique de la population sous la puissance de l'argent sale, de la violence et de la manipulation des foules.» Pour la primauté du politique L'autre voie violente qui a échoué et activement participé à la régression du pays est celle de l'intégrisme, informera Aït Ahmed. L'auteur du slogan «Ni Etat policier ni Etat intégriste» estime que «l'intégrisme islamiste et l'intégrisme anti-islamiste ont combattu le pluralisme irréductible de notre société. Ils ont – tous deux – contribué à aggraver les dégâts préalablement occasionnés par l'autoritarisme et l'intolérance du parti unique. Les deux ont également servi de base de manipulation des passions et des personnes par la police politique du régime. Et c'est une violence supplémentaire que de réduire l'importance de toutes ces violences cumulées dans l'état de délabrement actuel du pays». Comme pour se démarquer des appels électoralistes d'un pouvoir à la dérive, le président du FFS souligne : «Demander aux Algériens d'aller voter pour sauver le pays des périls sans rien changer de sa démarche est une des inconséquences habituelles de ce pouvoir. Car avant toute autre, c'est sa démarche qui est en cause.» S'adressant aux décideurs et tenants du pouvoir, Hocine Aït Ahmed lancera : «On vient nous dire aujourd'hui que le pays est en danger, qu'il traverse un moment ‘‘sensible'' et autres discours qu'aucune vision politique ne porte et que n'incarne aucun programme sérieux de sortie de crise… Cela fait des décennies que nous vous disons que votre démarche conduit le pays à sa perte ! Et vous venez maintenant nous dire que le pays est en danger ! Tout en persistant dans votre vision biaisée et unilatérale et en manœuvrant en sous-main vos réseaux pour qu'ils entravent notre travail de construction politique et pacifique de notre société !» Pour marquer son opposition et sa différence par rapport aux tenants du pouvoir et souligner la constance de ses positions et engagements, Aït Ahmed s'adressera à eux : «Notre démarche, depuis le congrès de la Soummam, se distingue de la vôtre par l'option stratégique de la primauté que nous accordons à la construction du politique. La primauté du politique parce qu'elle signifie l'engagement conscient et actif du peuple. Parce qu'elle signifie l'organisation de la société autour de la défense de ses intérêts. La primauté du politique parce qu'elle signifie la concertation la plus large possible, et le rassemblement conscient des volontés et non l'abdication ou l'exacerbation des passions. La primauté du politique parce qu'elle exclut le recours à la violence entre Algériens dans la conduite de leurs affaires et dans la gestion de leurs différends. La primauté du politique parce qu'elle met en présence des citoyens égaux en droits et en devoirs et non des maîtres et des esclaves. La primauté du politique parce qu'elle se construit sur des pouvoirs et des contrepouvoirs. Et parce qu'elle organise les rapports entre les deux. La primauté du politique enfin parce que les partis et les militants qui se distinguent par une ligne politique véritable savent détecter la vérité du mensonge et peuvent apprendre de leurs propres faiblesses les moyens de reconstruire leurs forces. C'est à cause de cette primauté que nous accordons au politique que le sens de notre action s'est toujours distingué de celle du régime.» D'où l'option de la participation aux prochaines législatives. «Notre conception de la participation électorale n'est pas la même que la leur : nous, nous investissons dans la mobilisation des citoyens en vue d'une finalité politique collective, alors qu'eux s'investissent dans la promotion des clientèles en vue d'un intérêt privé», conclura Aït Ahmed.