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Election à l'Unesco : une occasion ratée pour le monde arabe, pour les musulmans et plus largement pour le Sud L'analyse de Khadija Mohsen Finan (Responsable du programme Maghreb à l'Institut français des relations internationales)
L'élection du directeur général de l'Unesco n'avait jamais suscité de réelle polémique. Certes, tout le monde savait que les candidats en concurrence incarnaient des symboles et que par un jeu de rotation, tous les continents, tous les grands groupes humains devaient pouvoir se reconnaître un jour dans le directeur de cette institution créée en 1945 pour promouvoir le dialogue des cultures et la tolérance. La mission même de cette institution, visant à mettre en œuvre une solidarité intellectuelle et morale de l'humanité confère une symbolique particulière à son directeur. La dernière élection fut particulièrement difficile, puisque ce n'est qu'au cinquième tour de scrutin que la Bulgare Irina Bokova fut élue avec 31 voix contre 27 pour le diplomate égyptien Farouk Hosni. Ce dernier tour de scrutin a opposé deux figures qui ont incarné des idéologies dont ils ne sont plus ou pas porteurs. Fille de l'ancien rédacteur en chef du journal du parti communiste bulgare, Irina Bokova incarne les anciennes élites qui ont profité de la transition politique pour s'amarrer à l'Union européenne et participer à la gouvernance des relations internationales, tandis que Farouk Hosni était le candidat d'une Egypte qui voulait tout à la fois représenter le monde arabe et musulman, mais aussi le Sud sur la scène internationale. En appuyant initialement le candidat égyptien, la France voulait sans doute s'assurer le soutien du Caire dans la concrétisation du projet d'Union pour la Méditerranée. Mais d'autres pays européens ont voulu, eux, consacrer l'élection d'une femme à la tête d'une institution considérée comme désuète et qui mérite d'être redynamisée. C'est une polémique liée à des propos antisémites qu'aurait prononcés Farouk Hosni qui départagea les deux candidats. En 2008, l'ancien ministre égyptien des Affaires étrangères aurait parlé de brûler les livres en hébreu qu'abrite la bibliothèque d'Alexandrie, cet ancien temple du savoir en Méditerranée. Il s'en défendra en criant à la manipulation et au complot visant à écarter tout individu susceptible de critiquer Israël, il accusera même l'Occident de ne pas accepter l'autre, mais rien n'y fera. Quelle que soit la véracité des faits, faut-il voir derrière ce résultat la résurgence du clash des civilisations ? Quelles sont les leçons que l'on peut tirer de cette merveilleuse occasion ratée pour le monde arabe, pour les musulmans et plus largement encore pour le Sud ? Bien sûr, nous pourrions nous associer et faire nôtres les accusations que l'on a pu lire dans la presse arabe et égyptienne, à savoir qu'une fois de plus, nous sommes victimes du lobby sioniste et que l'Occident veut écarter le monde arabe des grands enjeux de la gouvernance mondiale. Mais nous pourrions aussi endosser la responsabilité d'un échec supplémentaire pour la diplomatie arabe. Le candidat du Sud ne pouvait être en aucun cas celui qui avait tenu de tels propos, quel que soit le contexte dans lequel ils ont été prononcés. Compte tenu de la charge symbolique inhérente à cette candidature, l'Egypte aurait dû changer de candidat, comme le lui avait suggéré Paris. Les propos de Farouk Hosni ne contribuent aucunement à trouver une issue au conflit moyen-oriental, ils offrent au contraire des arguments supplémentaires à tous ceux qui veulent enfermer les Arabes dans l'émotion permanente et l'absence de raison, faisant d'eux des interlocuteurs impossibles. Mais ces propos malheureux sont aussi révélateurs du grand écart que doivent faire les responsables politiques arabes entre une opinion farouchement anti-israélienne et les liens qu'ils doivent avoir avec les pays occidentaux pour exister sur la scène internationale. De longue date, ces pouvoirs tentent de faire revivre un nationalisme bien malade en évoquant le drame palestinien. Ce leitmotiv anti-israélien, devenu quasiment un réflexe dans notre culture politique, est – à juste titre – mal compris au-delà de nos frontières. Le monde arabe devrait se défaire de ses schèmes qui lui donnent l'illusion de trouver une cohésion nationale et sortir de cette perpétuelle victimisation qui s'avère contre-productive et construire une véritable diplomatie qui prenne en compte les enjeux actuels. N'est-il pas plus efficace de faire pression sur Israël en essayant de trouver une issue au conflit du Moyen-Orient en dirigeant l'Unesco qu'en déplorant le rôle de l'Occident dans la marginalisation du monde arabe et musulman ? Le succès de Mme Bokova montre qu'à l'instar de cette femme, les pays d'Europe orientale ont compris qu'ils se devaient de changer en donnant un contenu réel à la transition politique. Ils ont compris qu'il leur fallait tourner la page du communisme et ouvrir le système politique. C'était le prix à payer pour être acteur de cette fameuse gouvernance mondiale. Au lieu de cela, nos Etats nous donnent l'illusion de vivre une transition politique qui n'a de transitionnel que le nom : le pluralisme des partis n'est pas censé produire de la concurrence, les politiques de pardon ne sont pas mises en place pour produire de la justice ou pour rechercher la vérité, nos espaces publics continuent d'être balisés et contrôlés lorsqu'ils existent. Cette « peur de la démocratie », de l'ouverture réelle et du changement nous contraint d'être à la marge d'une mondialisation que nous subissons et dans laquelle nous entrons par effraction. Mais nous nous consolons chaudement en nous enfermant dans une victimisation qui donne de nous l'image d'une communauté hors du temps.