L'influence de l'Algérie a été nulle dans cette bataille où, contre toute attente, le candidat égyptien a laissé des plumes. La messe est dite ! Le ministre égyptien de la Culture, Farouk Hosni, 71 ans, ne sera pas le prochain directeur général de l'Unesco. Donné pourtant favori, le candidat de la Ligue arabe et de l'Union africaine a été battu, mardi soir, par la Bulgare Irina Gueorguieva Bokova, 57 ans, après un ultime scrutin, par 31 voix contre 27. Au lendemain du vote, un homme aurait sans doute quelques bonnes raisons de se réjouir de la défaite de l'Egyptien : l'Algérien Mohamed Bedjaoui, 81 ans, ancien ministre des Affaires étrangères de l'Algérie. Candidat au même poste sous le parrainage du Cambodge, M. Bedjaoui n'a pas recueilli la moindre voix, mais sa candidature aura suscité colères, polémiques, ressentiments à Alger, au Caire, à Tripoli et à Paris.Bref, presque personne ne voulait que cet éminent juriste ne brigue la succession du Japonais Koichiro Matsuura à la tête de cette vénérable institution. « Il n'a pas jubilé à l'annonce des résultats, mais il était plutôt réconforté dans son idée que sa candidature valait la peine d'être présentée et soutenue, avoue un de ses proches. Il n'a pas non plus versé de bile sur ses compatriotes qui ne l'avaient pourtant pas ménagé avec les pressions, les critiques, les reproches, voire les attaques personnelles. » Cette défaite de Farouk Hosni n'est pas seulement une humiliation pour l'Egypte, le monde arabe et l'Union africaine, mais aussi un revers pour la diplomatie algérienne autant qu'un camouflet pour l'ancien chef de la diplomatie de Bouteflika. C'est que le président égyptien, Hosni Moubarak, a pesé de tout son poids pour imposer son poulain et le faire gagner, que l'Algérie l'a porté à bout de bras et que Mohamed Bedjaoui s'est entêté à maintenir sa candidature en dépit de l'hostilité générale à son égard et, disons-le franchement, malgré le fait qu'il savait que ses chances étaient nulles, sinon minimes. Pourquoi les autorités algériennes ont-elles décidé de soutenir l'Egyptien au détriment de l'Algérien ? Comment Le Caire a-t-il fait du lobbying intense au profit de Farouk Hosni ? Pourquoi M. Bedjaoui a-t-il décidé de maintenir sa candidature alors que son pays refusait de lui donner sa caution ? D'abord, une petite précision. Pour les besoins de cet article, nous avons sollicité le témoignage de M. Bedjaoui. Hélas, ce dernier s'est poliment retranché derrière le droit de réserve pour justifier son refus de collaborer à cette enquête. D'autres personnes ont accepté de témoigner, mais sous le sceau de l'anonymat. Juin 2007. Mohamed Bedjaoui renonce au portefeuille de ministre des Affaires étrangères qu'il occupait depuis mai 2005. Convenances personnelles ? Divergences avec le chef de l'Etat ? Difficile d'expliquer ce départ soudain du gouvernement, mais toujours est-il que M. Bedjaoui quitte Alger pour regagner son domicile, dans le 16e arrondissement parisien. A Paris, cet homme qui a passé sa vie dans les arcanes de la diplomatie algérienne et dans les cours internationales ne se résout pas à prendre sa retraite. A presque 80 ans, il veut encore servir. Rédiger ses mémoires est une occupation qui requiert du temps, mais finir une belle et longue carrière à la tête de la prestigieuse Unesco, une institution qu'il connaît trop bien pour l'avoir fréquentée comme ambassadeur d'Algérie au cours des années 1970, est un challenge qui ne lui déplairait pas. Le mandat du Japonais Matsuura devant s'achever en septembre 2009, M. Bedjaoui envisage donc de se porter à sa succession. Alors, il se rend régulièrement au siège de l'Unesco pour jauger ses chances, discute avec les ambassadeurs, s'entretient avec les diplomates. Bref, il se prépare. Mais une candidature au poste de directeur général de l'Unesco ne saurait être valide sans l'appui des autorités de son pays. Certes, l'homme n'est plus à présenter. Juriste, ambassadeur, diplomate, ministre, son pedigree tiendrait dans un long parchemin. Mais voilà, un CV éloquent ne constitue pas un sésame d'autant plus qu'en face de Bedjaoui, il y a un sérieux prétendant : Farouk Hosni. F. Hosni est un ponte du régime égyptien. Ministre de la Culture depuis 1987, cet artiste peintre est réputé proche du cercle présidentiel, notamment de la première dame, Suzanne Moubarak. Pour le raïs égyptien, la candidature de Farouk Hosni au poste de directeur général de l'Unesco est une affaire nationale. Arracher ce poste contribuerait à accroître son influence dans le monde arabe et renforcer son prestige sur la scène internationale. L'Egypte truste déjà la Ligue arabe, elle copréside l'Union pour la Méditerranée (UPM), le projet cher au président français Nicolas Sarkozy, elle est l'interlocuteur privilégié de l'Occident dans le monde arabe, elle a placé un de ses enfants, Mohamed El Baradei, à la tête de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)... Un nouveau poste au sein d'une institution comme l'Unesco vaut bien une messe pour les dirigeants égyptiens. De quoi refroidir les ardeurs de Mohamed Bedjaoui ? Pas vraiment. Y a t'il eu des pressions sur l'Algérie ? Nous sommes à la fin de l'année 2008. M. Bedjaoui prend attache avec la présidence pour demander que sa candidature soit parrainée par l'Algérie. Bien que Bouteflika n'ait pas trop goûté que son ministre lui claque la porte au nez en juin 2007, les deux hommes, qui se connaissent et s'apprécient de longue date, sont restés proches. Le Président donne son accord verbal pour soutenir Bedjaoui. Un proche de ce dernier le soutient : « Bouteflika a accepté de parrainer la candidature de Bedjaoui. Les deux hommes se sont vus et parlé au téléphone. » Mais voilà, le prétendu accord verbal tarde à se concrétiser tant et si bien qu'au début de l'année 2009, l'intéressé n'est toujours pas le candidat de l'Algérie. « Bedjaoui a longtemps attendu que le gouvernement algérien dépose officiellement une demande de candidature auprès de l'Unesco, mais celle-ci n'est jamais parvenue. Il a relancé le président à maintes reprises pour obtenir cette fameuse lettre, mais il a essuyé une fin de non-recevoir », affirme un proche de l'ancien ministre. Bouteflika a-t-il renié son engagement envers son ex-chef de la diplomatie ? Y avait-il réellement un accord du président ? Ou bien a-t-on exercé des pressions sur l'Algérie pour qu'elle soutienne un autre candidat ? Un ancien ambassadeur d'Algérie confirme : « Bedjaoui a eu l'aval des plus hautes autorités algériennes pour se présenter comme candidat. » Oui, mais que s'est-il passé pour que Mohamed Bedjaoui ne figure plus sur les plans de la présidence ? La vérité est que le président égyptien a exercé un pressing sur les Algériens pour qu'ils soutiennent Farouk Hosni plutôt que Bedjaoui. Bouteflika aurait alors appelé son ancien ministre pour lui annoncer qu'il avait donné son accord et sa parole aux Egyptiens de soutenir Farouk Hosni. Le sort a été scellé le 1er février 2009, lors de la réunion du conseil exécutif de l'Union africaine à Addis-Abeba. Les pays africains décident de soutenir la candidature de l'Egypte pour la direction générale de l'Unesco. Dépité, Mohamed Bedjaoui refuse de renoncer à ses ambitions. Il démarche alors un autre pays susceptible de parrainer sa candidature. Le Cambodge accepte de lui porter sa caution. C'est ainsi qu'il annonce, début février 2009, son intention de briguer le mandat. On s'en doute, cette décision déplaît. Commencent alors les conseils, les pressions, les intimidations autour de Mohamed Bedjaoui pour qu'il renonce à sa candidature. Pendant plusieurs mois, des officiels algériens, des diplomates égyptiens feront le siège de Bedjaoui pour le convaincre de retirer sa candidature. Même les autorités combodgiennes feront les frais des assauts des responsables égyptiens qui leur demandent de retirer le parrainage accordé à Bedjaoui. Une connaissance de ce dernier confirme, sous le sceau de l'anonymat : « J'ai reçu la visite du directeur de campagne de Farouk Hosni à Paris pour me faire passer ce message : si Bedjaoui accepte de retirer sa candidature, il sera récompensé par des postes de diplomate. » A la clé, ajoute notre source, ce directeur propose même des compensations financières dont il nous interdit de divulguer le montant. Des émissaires de la présidence, dépêchés d'Alger, tentent de dissuader Bedjaoui de se porter encore candidat. Leurs arguments ? L'Algérie ne peut pas cautionner une autre candidature. Le pays doit parler d'une seule voix, la voix officielle. Le président a engagé sa parole et celle du pays pour soutenir le candidat de la Ligue arabe et l'Union africaine. Une candidature contre vents et marées Mohamed Bedjaoui refuse d'abdiquer. Il se dit même choqué par la manière dont ses compatriotes tentent de faire infléchir sa décision. Une de ses proches l'a même entendu dire : « J'ai fait la révolution à l'âge de 16 ans. Je ne vais pas lâcher parce qu'on me me fait subir une pression. » Excès d'orgueil, de vanité, d'amour-propre, envie d'aller jusqu'au bout de ses convictions ? Qu'est-ce qui explique que cet homme maintienne contre vents et marées sa candidature ? Sans doute tout à la fois. Un diplomate algérien se montre tranchant : « Dans la tradition diplomatique, la candidature au poste de directeur de l'Unesco est portée par un pays. En l'occurrence, l'Algérie a décidé de soutenir Farouk Hosni. Il aurait fallu que Mohamed Bedjaoui, homme respectable et compétent au demeurant, se range du côté de l'Algérie. » Il faudra attendre la fin du mois de juin pour que Mohamed Bedjaoui se ravise. Au matin du 30 juin 2009, le ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci, annonce, dans un communiqué, que M. Bedjaoui a retiré sa candidature pour le poste de directeur général de l'Unesco. Peu après cette annonce, Bedjaoui reçoit un coup de fil de la présidence algérienne. En substance, le message affirme ceci : « Nous avons déclaré officiellement que vous vous êtes retiré de la course. Soit vous confirmer et le dossier est clos. Soit vous maintenez votre candidature,et l'on dira que l'Algérie ne parle pas d'une seule voix... » Pris de court, Bedjaoui annonce son retrait officiel. Lorsque les journalistes l'appellent pour confirmer la nouvelle, l'homme acquiesce sans donner davantage de précisions. « Ce jour-là, il avait un visage de deuil, se souvient un de ses proches. Il a été mis devant le fait accompli car il n'avait pas été consulté avant que le communiqué du ministre des Affaires étrangères algérien ne tombe. Il a abdiqué parce qu'il a refusé de ridiculiser la diplomatie algérienne. Pour lui, démentir ce communiqué équivaudrait à faire passer son successeur pour un menteur. Il n'a pas voulu de cela. Pourtant, Il n'a jamais voulu se retirer de la course. Il voulait continuer même s'il savait qu'il avait peu de chances de remporter le scrutin. » En coulisses, M. Bedjaoui est amer, déçu, décontenancé. « Au lieu de présenter les contours de mon projet pour l'Unesco, je passe mon temps à soigner les plaies de ces flèches dont me crible mon pays », dira-t-il à un journaliste. La cause est donc entendue. Mohamed Bedjaoui a retiré sa candidature, le boulevard est désormais ouvert pour son rival F. Hosni. L'été passe. Bedjaoui se met au repos. Il abandonne la campagne pour le poste de l'Unesco et continue à rédiger ses mémoires. A-t-il vraiment renoncé ? Pas tant que cela. Il suit de près la bataille qui se joue autour de l'Unesco. Il sait que F. Hosni n'est pas le grand favori. Il sait aussi que cet homme traîne des casseroles, des boulets. Farouk Hosni, les médias occidentaux le présentent comme antisémite, censeur... Bien qu'il ait obtenu le soutien du président français Nicolas Sarkozy, bien qu'il soit appuyé par la Ligue arabe et l'Union africaine, cet homme n'a pas pour autant les faveurs des grandes puissances européennes et surtout pas celle des Etats-Unis. Alors, M. Bedjaoui refuse d'abdiquer. Début septembre. Alors que l'on pensait qu'il avait renoncé à la course, Mohamed Bedjaoui revient sur le devant de la scène et maintient sa candidature. Alors que l'on pensait que les autorités cambodgiennes lui avaient retiré leur parrainage, voilà que son nom figure parmi les prétendants à la course. Dans l'après-midi du 13 septembre, M. Bedjaoui reçoit un coup de téléphone du Premier ministre du Cambodge. « Vous êtes de nouveau candidat, lui annonce-t-il en substance. Je vais envoyer de sitôt une lettre au bureau exécutif de l'Unesco pour confirmer votre candidature au nom du Cambodge. » Pourquoi un tel revirement ? A Paris, on évoque de fortes pressions de la part de Washington pour remettre en scelle le candidat Bedjaoui. Pourquoi ? Il se murmure à Paris que Washington et d'autres capitales européennes ne souhaitent guère voir un candidat ouvertement antisémite à la tête de l'Unesco. C'est tout ? Il se dit encore que de nombreux ambassadeurs et diplomates accrédités à l'Unesco n'ont pas du tout apprécié le traitement dont a fait l'objet Mohamed Bedjaoui de la part des Algériens, des Egyptiens et des Libyens. D'où sans doute les pressions exercées sur le Cambodge pour valider la candidature de Bedjaoui. Au final, ce dernier n'aura obtenu aucune voix. « Bien sûr qu'il savait qu'il n'avait aucune chance, mais il croyait que sa candidature pouvait apporter un plus », avoue un de ses proches collaborateurs. A voir... M. Bedjaoui déclassé, F. Hosni recalé, qu'est-ce que l'Algérie aura finalement obtenu de cette bataille pour la direction de l'Unesco ? Rien !