Wassyla Tamzali, qui a coordonné le livre Histoires minuscules des révolutions arabes, qui s'en est rendu compte, a fait quelques précisions dans la préface du recueil de textes publié chez Chihab. «Quand l'idée de ce livre est née (…) le mot même révolution n'était pas encore contesté, et nous, nous étions nombreux à être encore portés par la ‘‘divine'' surprise du 14 janvier 2011. Le jour d'après n'a pas été ce que nous espérions», constate la coordinatrice du projet qui a réuni une quarantaine de contributeurs. Plus loin, Tamzali, observatrice lucide, confirme son choix : «Il y a des révolutions arabes, comme aujourd'hui il y a des contre-révolutions. J'ai choisi de tourner le dos aux cyniques qui ne cessent de dire devant la fête fracassée, il ne s'est rien passé, il ne se passera rien.» Des histoires plus intimes se mêlent dans ce recueil à des comptes rendus journalistiques. Saïd Khatibi, Hoda Barakat, Yanis Koussim, Michèle Fitoussi, Kamel Daoud, Azizi Chouaki, Hyam Yared, Nadia Tazi et d'autres encore racontent l'indicible, les journées d'attente, le plaisir inscriptible de voir partir un tyran, la rage d'un vieux colonel, soliloquant devant son écran, les illusions perdues d'une jeunesse brimée, bovarysme aigu chez certains intellectuels, la peur du lendemain. L'oppression, les femmes muselées, la sexualité bridée, l'absence d'exutoire et l'hypocrisie sociale, autant de thématiques qui reviennent en force dans les témoignages des auteurs qui ont participé, chacun à sa manière, à ces petites histoires qui font la grande histoire. Les uns, en y prenant part directement, les autres en prenant la posture de l'observateur extérieur et de l'historien du présent. Bourlingueur éprouvé, Mohamed Kacimi consigne dans son bloc-notes de révolutionnaire allergique à la nostalgie ses déceptions et de son désenchantement après des rencontres furtives avec les «citoyens» arabes. Kacimi croit déceler les raisons de l'absence de l'Algérie, son pays, de ce mouvement brusque qui secoue le monde arabe. «Le monde bouge. La Syrie flambe, l'Egypte tangue, (…). L'Algérie, c'est l'âge de la glace avec l'humeur en moins. Les Algériens aurait épuisé leur forfait révolte depuis belle lurette. (…) Qui va nous ‘‘flexer'' un autre crédit de colère», s'interroge l'auteur de L'Orient après l'amour. En lisant les écrits éclectiques de ces auteurs, un regret pointe : les «révolutionnaires» de certains pays qui ont crevé l'écran sont absents. Les lecteurs auraient souhaité lire des témoignages d'artistes, de journalistes ou même de bloggers des pays situés à la périphérie du mouvement dont l'épicentre a été surtout la place Tahrir, plus que l'avenue Bourguiba à Tunis. Point de Yéménites ni de Bahrainis, mais «beaucoup» d'auteurs algériens. L'Algérie a eu la part du lion alors que la révolution n'y est nulle part. Ce qui intéresserait, toutefois, les lecteurs, qui plongeront dans ce recueil, c'est de connaître au détour des mots l'issue de ces révolutions sans révolutionnaires. Hejer Charf, réalisatrice tunisienne, esquisse une réponse dans son texte Une beauté terrible est née (vers du poète irlandais William Butler Yeats). Elle parle de lendemains meilleurs en terminant son texte par un poème de l'Allemand Friedrich Hölderlin : «Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve.»
Histoires minuscules des révolutions arabes, Chihab éditions, 800DA.