«Mon pays vulnérable est un oiseau de lune. Mon pays empalé sur le fer des consciences.» Nadia Tuéni, poétesse libanaise (1935-1983) en peu de mots, met en scène le drame libanais et le nôtre. Un drame qui rejoue sans cesse la même scène. Aujourd'hui : attentat à Beyrouth, la Syrie, l'Iran, Israël . Chacun avec des rêves fous se nourrissant les uns les autres rappellent à ce drame indépassable les Beyrouthins. Nous n'avons aucun pouvoir, ni eux dans leur pays ni nous dans le nôtre, laissons parler les poètes et à travers eux, donnons à nos vies un sens. Comme le héros d'Inland dans le film de Tariq Tarkia, faisons le récit de cette vie faite d'humiliations pour dire notre humanité dans un message plus fort que la mort, et tentons d'être heureux comme Sisyphe. La télévision française a programmé le lendemain de l'attentat le film de Wajdi Mouawad qui va jusqu'au bout de l'horreur de la guerre fratricide qui détruisit Beyrouth. La ville a été reconstruite au prix de scandales libérés par les crépuscules de l'histoire, la faim insatiable et le népotisme d'un seul homme, d'un seul clan. Une ville à la modernité illusoire qui porte notre drame à tous, ceux qu'on appelle les Arabes. C'est ici que l'on sent le mieux les lignes de fractures prêtes à s'ouvrir sur une béance. L'attentat à Beyrouth est une séquence qui s'ajoute à d'autres comme autant de répétitions du drame final à venir. Donnons encore la parole à Wajdi Mouawad : «J'appartiens à une génération à qui on a dit : ‘N'essaie pas de faire la révolution, ça ne marche pas.' On a renié notre droit à une beauté nouvelle, à un sens nouveau. Qu'est-ce que faire la révolution sinon inventer une beauté qui n'a jamais existé.» Voilà qui résonne ici ce matin où l'on compte les morts auxquels s'ajoutent ceux de Tripoli, en Libye. Comment échapper aux nuées noires ce matin ? Dans ma préface à Histoires minuscules des révolutions arabes*, je disais avec la réalisatrice Hejer Charf, reprenant les vers de Yeats : «Une beauté terrible est née.» Je le redis. Si le temps est long et incertain, le surgissement de la liberté, même si elle disparaît très vite, reste incrusté en nous un rêve insoluble dans les mauvaises nouvelles. Je ne suis pas de la génération de Wajdi, ma génération a vu passer dans le ciel de la libération «l'oiseau de lune». Et depuis nous le cherchons. *Histoires minuscules des révolutions arabes, Ed Chihab 2012.