Paris De notre correspondant J'ai longtemps pensé que l'Algérie n'était pas mon histoire. Je suis pourtant née à Oran en 1959 et suis l'une de ces milliers d'enfants rapatriés en 1962. Comme beaucoup de pieds-noirs, mes parents avaient tourné la page, ne vivaient pas dans la nostalgie, mais je rejetais même le peu qu'ils disaient d'eux. On n'est pas pied-noir quand on a 17 ans.» Le ton est donné. La journaliste Brigitte Benkemoun a choisi un angle original pour raconter l'inénarrable. La guerre d'Algérie est si loin, si proche. Les parents, tous les parents des deux rives de la Méditerranée, trouvent dans l'amnésie la force de (re)construire le présent. Pourtant, le passé ne passe pas, il se décompose, se rappelle avec force, au détour d'une phrase, d'une photo, aux survivants. Comme un vigile ensommeillé. Les parents de Brigitte Benkemoun, comme ceux de l'auteur de ces lignes, ne parlent plus de cette guerre. «Avant, c'était avant, c'était une autre période». Le passé a frappé à la porte de la mémoire de Brigitte Benkemoun il y a dix ans, lors du quarantenaire de la libération de l'Algérie. L'histoire sait se montrer ironique, sadique. Sur la photo d'un journal, une petite fille dans les bras de son père, sur la passerelle d'un bateau. Légende : Marseille, juillet 1962. Départs précipités, larmes, sang, déchirures… Brigitte Benkemoun se reconnaît dans la petite fille, partie elle aussi malgré elle d'Algérie à l'âge de trois ans. D'où le titre du livre, La petite fille sur la photo. C'est le point de départ d'une quête personnelle. Au fil de son enquête, la journaliste apprendra à dire «nous», un nous forcément douloureux mais libérateur. Une quête qui l'a menée en Algérie, à la rencontre du melting-pot de l'époque. Elle convoque Jacques Attali, Mehdi Charef, un fils de colon, un jeune engagé dans l'OAS, une victime d'attentat du FLN, une fille de harki, celle d'un professeur communiste… pour combler sa mémoire. Les souvenirs des autres nourrissent les siens. Ce livre est une ode au vivre-ensemble, et sans tomber dans le cliché (ou alors à pieds joints et avec bonheur) un pont entre les deux rives, entre les deux peuples. Un passé apaisé, forcément rassembleur. Le regard de la petite fille est juste, poignant. *La petite fille sur la photo, Brigitte Benkemoun, Fayard