Plus de 50 ans après l'indépendance, les mémoires se lâchent des deux côtés de la Méditerranée pour nourrir le champ éditorial. Cette production, volontiers déclinée en récits intimistes, plus ou moins réalistes ou romancés, est portée par des acteurs ou des témoins directs de la guerre qui se sentent rattrapés par le temps, mais aussi par la génération suivante née durant la guerre ou après 1962. Dans leur fournée de mars 2015, les éditions Média-Plus de Constantine enrichissent leur catalogue de deux ouvrages dont les auteurs partagent trois caractéristiques communes : il s'agit de femmes, exerçant des responsabilités dans les médias français et qui publient pour la première fois. C'est le cas de Brigitte Benkemoun, actuelle rédactrice en chef de l'émission «Mots croisés» de la chaîne France 2. Avec «La petite fille sur la photo», sous-titré «La guerre d'Algérie à hauteur d'enfant», elle livre ce qu'elle appelle «Le journal de ce passé recomposé». Elle ne pensait pas un jour devoir s'adonner à cette quête, affirmant : «J'ai longtemps pensé que l'Algérie n'était pas mon histoire. Je suis pourtant née à Oran en 1959 et suis l'une de ces milliers d'enfants rapatriés en 1962. Comme beaucoup de pieds-noirs, mes parents avaient tourné la page, ne vivaient pas dans la nostalgie, mais je rejetais même le peu qu'ils disaient d'eux. On n'est pas pied-noir quand on a 17 ans». C'est la photo d'une fillette dans les bras de son père sur une passerelle de paquebot qui déclenchera son écriture. Née à Skikda après l'indépendance, Marie-Christine Saragosse, ancienne patronne de TV5, est aujourd'hui présidente du groupe France Médias Monde. Elle a choisi pour sa part la voie romanesque pour aborder la période de l'indépendance dans son «Temps ensoleillé avec fortes rafales de vent» qui se veut une météo humaine de l'Histoire. Aussi bien pour Brigitte Benkemoun que pour Marie-Christine Saragosse, on perçoit une vision différente de l'Algérie qui, sans nier les douleurs accumulées, tend plutôt vers la recherche apaisée de sources et une reconnaissance de «l'Autre». Le récit devient une volonté de reconstruire le passé et, sans doute, de se reconstruire soi-même. Toujours chez Média-Plus, signalons «L'Algérie retrouvée : 1929-2014», à la fois autobiographie et essai. Son auteur, Jacques Fournier, fils d'un «médecin de colonisation» qui a passé sa jeunesse dans le Dahra avant de brillantes études qui le mèneront à de très hautes fonctions dont celle de secrétaire général adjoint de l'Elysée. Depuis sa naissance en 1929 jusqu'à nos jours, il déroule son rapport à l'Algérie ainsi que diverses réflexions sur ce pays qui l'habite encore. Enfin, à ne pas rater, le livre-enquête de l'historienne Claire Mauss-Copeaux, «La source, mémoires d'un massacre : Oudjehane, 11 mai 1956» qui relate des faits terribles commis par l'armée française dans la région d'El Milia (extraits publiés dans Arts & Lettres du 30/04/15). En faisant connaître ces ouvrages initialement parus en France, Média-Plus permet au lectorat algérien de se tenir au fait de l'actualité de l'histoire.