Interdiction de toutes manifestations vendredi, déploiement sécuritaire dissuasif, sanction contre un imam radical : les autorités ont fait preuve ces dernières 24 heures d'une fermeté inédite. Le calme est revenu et le couvre-feu imposé mardi après deux jours d'émeutes attribuées à des groupes mêlant salafistes et casseurs a été levé. Pour l'analyste Ali Laïdi Ben Mansour, «le gouvernement a eu tellement peur que ça dégénère, qu'il n'avait pas d'autre choix que de faire preuve de fermeté. C'était ça ou le chaos». Il n'y voit toutefois «pas encore un changement d'attitude», estime-t-il, rappelant que les autorités ont renvoyé dos à dos émeutiers et artistes «provocateurs», après le saccage d'une exposition jugée blasphématoire qui a donné le coup d'envoi des émeutes. Comment expliquer la brusque flambée de violences ? «Le pari de Rached Ghannouchi (chef d'Ennahda) était de bénéficier de la base sociale des salafistes, en échange de quoi le gouvernement était relativement tolérant vis-à-vis d'eux. C'est un pari qui a fonctionné jusqu'à maintenant, mais qui est en passe d'échouer», juge le sociologue Samir Amghar. «Ennahda a laissé les salafistes s'organiser et d'un coup, la créature leur échappe», renchérit une source diplomatique. Le chercheur Alaya Allani, spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb, identifie trois facteurs expliquant le déclenchement des violences : «Social, avec une augmentation du nombre de chômeurs et de marginaux, couches où se recrutent les salafistes» ; «sécuritaire, avec l'incapacité du gouvernement à réagir, surtout dans les zones déshéritées». Les salafistes poussent leurs pions Et enfin un «facteur idéologique» : «Le pouvoir n'arrive pas à identifier le modèle de société qu'il veut pour la nouvelle Tunisie», oscillant entre «un islam modéré dans une démocratie moderne et un islam conservateur hostile à la modernité». Les observateurs soulignent aussi l'incapacité de l'opposition de gauche, très divisée, à peser pour défendre son modèle libéral de société, certains l'accusant même de «jouer avec le feu» en focalisant l'attention sur les questions identitaires et religieuses. Dans ce contexte brouillé, les salafistes avancent leurs pions. Estimés à quelques centaines après la révolution, ils seraient désormais plus de 10 000 en Tunisie. «Par leurs actions spectaculaires, ils veulent faire entendre leur voix, à un moment charnière de l'histoire de la Tunisie où s'élabore la Constitution qui va donner un cadre juridique, institutionnel et sociétal pour des décennies», affirme Samir Amghar. En Tunisie comme dans des pays voisins (Libye, Mauritanie), les salafistes sont travaillés par des débats internes sur leur entrée dans la sphère politique, «à l'instar de ce qui se passe en Egypte où ils constituent la deuxième force», explique Alaya Allani. Lors du congrès annuel en mai d'Ansar Al Charia, principale branche de la mouvance salafiste tunisienne, son chef Abu Iyadh a fait «un discours sur le tourisme, la santé, le gouvernement, c'était un vrai programme politique», rappelle-t-il. Le même mois, le parti islamiste interdit Hizb Ettahrir, qui prône la restauration du califat, a de nouveau déposé une demande de légalisation. Reste une interrogation : l'influence d'Al Qaîda sur certaines des factions de la mouvance salafiste.