Un nouvel arsenal législatif de lutte contre la corruption vient d'être adopté en Conseil des ministres ce jeudi. Sera-t-il efficace au point de ne laisser à ce phénomène aucun interstice de pouvoir pour prospérer ? La question reste entière. La décision de créer un pôle financier chargé de la lutte contre la corruption intervient dans le cadre du projet de loi qui complète celle de 2006 relative à la prévention et à la lutte contre ce fléau, mais surtout elle répond aux recommandations faites en 2013 par l'instance spécialisée des Nations unies lors de l'examen de la politique de lutte contre la corruption en Algérie. Un Conseil des ministres s'est tenu jeudi dernier et a été consacré à la loi de finances de l'exercice 2019 ainsi qu'à l'examen d'une série de projets et l'adoption de décisions, dont celle relative à la création d'un pôle financier chargé de la lutte contre la corruption. Un organe supplémentaire doté de la mission de débusquer les fraudeurs, les corrupteurs et autres corrompus, poussant les observateurs à se demander le pourquoi d'une telle création alors qu'il en existe d'autres et dont le travail reste très peu efficace face au phénomène de la corruption. Selon le communiqué du Conseil des ministres, ce pôle pénal financier à compétence nationale sera chargé des «affaires financières complexes». Cette décision intervient dans le cadre du projet de loi qui complète celle de 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, mais surtout répond aux recommandations faites en 2013 par l'instance spécialisée des Nations unies, lors de l'examen de la politique de lutte contre la corruption en Algérie. Un examen qui, faut-il le rappeler, devrait être réédité au cours de l'année 2019. L'instance créée à la faveur des nouvelles dispositions modifiant la loi 2006 se chargera de la «protection légale des dénonciateurs de faits de corruption, y compris au niveau de leur environnement professionnel», explique ledit communiqué, en précisant que ce «moyen supplémentaire de lutte contre la corruption sera mis en œuvre en même temps que les cadres gestionnaires demeureront protégés par les dispositions du code de procédure pénale qui subordonne l'ouverture de toute information judiciaire au dépôt d'une plainte par les organes sociaux de l'entreprise ou de l'administration ayant subi le dommage». Le projet de loi prévoit également la création d'une agence nationale de gestion des avoirs issus des infractions de corruption qui permettrait la conservation des avoirs liés aux affaires de corruption placés sous séquestre judiciaire en attendant le jugement. «Le gouvernement vient de réagir en catastrophe avant l'évaluation de 2019» Réagissant à cette annonce, l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) dénonce «un rafistolage cosmétique de la loi du 20 février 2006» en prévision de la visite en Algérie en 2019 d'experts des Nations unies pour évaluer le dispositif législatif de prévention et de lutte contre la corruption. «Depuis plus de 10 ans, l'AACC ne cesse d'appeler le gouvernement à modifier qualitativement cette loi qui est très en retrait par rapport à la Convention des Nations unies contre le corruption de 2003, loi qui est non seulement très insuffisante, mais très peu et très mal appliquée. Ce point à l'ordre du jour du Conseil des ministres ne traduit pas une soudaine volonté politique de lutter contre la corruption – volonté qui n'a jamais existé –, en fait cela fait partie d'une opération de rafistolage cosmétique de cette loi», estime Djilali Hadjadj, président de l'AACC. L'association s'interroge sur l'utilité de la création d'un pôle financier chargé de la lutte contre la corruption, d'autant qu'il en existe d'autres ayant le même rôle. «L'AACC s'interroge sur l'utilité et l'opportunité d'un pareil dispositif, venant s'ajouter à d'autres organes judiciaires déjà existants et très peu efficaces, tels que les 4 pôles judiciaires régionaux créés en 2010», note le communiqué de l'association rendu public hier. Pour l'AACC, une telle agence devrait forcément être indépendante de l'Exécutif afin d'être efficace. Elle doit «regrouper des magistrats compétents, s'ouvrir sur l'entraide judiciaire internationale : des conditions qui ne sont pas réunies actuellement en Algérie», estime l'AACC, soulignant que parmi les recommandations des Nations unies au gouvernement algérien en 2013, figurait le renforcement des capacités dans le domaine de l'entraide judiciaire et des enquêtes financières internationales. L'Algérie recevra en 2019 une délégation d'experts de l'agence onusienne UNODC chargée de la lutte contre le crime et la drogue, qui est aussi mandatée pour l'organisation du processus d'évaluation de l'application de la Convention des Nations unies contre la corruption. En 2013, cet organisme avait relevé des «insuffisances et l'Algérie s'était engagée à apporter les correctifs nécessaires, c'est-à-dire en améliorant et en renforçant la loi du 20 février 2019 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, surtout en la rendant conforme avec le contenu de la Convention des Nations unies», rappelle le communiqué de l'AACC. Cette dernière énumère les insuffisances citées par le rapport, dont l'exigence de l'indépendance réelle et effective de l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (ONPLC), qui demeure rattaché à la présidence de la République, ainsi que la protection des dénonciateurs de la corruption et des lanceurs d'alerte. De même que la création d'une agence nationale chargée de la gestion des avoirs issus des infractions de corruption, dont l'Algérie ne voulait pas jusqu'à l'annonce de sa création jeudi dernier en Conseil des ministres. «Si la justice algérienne avait été indépendante et s'il y avait une réelle volonté politique de lutter contre la corruption, cette agence ne chômerait pas tant, il y aurait eu énormément d'avoirs à récupérer en Algérie ou à l'étranger», commente l'association présidée par Djilali Hadjadj. L'AACC fait remarquer que le Conseil des ministres n'a pas fait allusion à l'obligation de déclaration du patrimoine des agents publics, tel que cela a été recommandé par les Nations unies afin de contrecarrer l'enrichissement illicite. «Visiblement, le gouvernement veut laisser les choses en l'état, ce que regrette l'AACC.» «Cinq années plus tard, l'Algérie n'a toujours pas respecté ses engagements : aucune modification de la loi de 2006, tel que souhaité par les experts des Nations unies, n'a encore été introduite ! Et comme l'Algérie sera ”évaluée” en 2019, le gouvernement vient de réagir en catastrophe», déplore l'AACC. Ceci, et de s'interroger sur l'absence de création d'une académie de formation en matière de lutte contre la corruption, comme promis par l'Algérie aux experts onusiens il y a cinq ans.