De notre correspondant en Tunisie Est-ce l'épilogue des procès les concernant ou, plutôt, une «transaction» politique du parti Ennahdha ? A regarder les affaires pour lesquelles les symboles du régime déchu ont été arrêtés, on est en situation de nous interroger si l'actuel pouvoir veut vraiment ouvrir les grands dossiers de corruption, ou se limiter à manœuvrer. Ainsi, pour le ministre de la Justice, Béchir Tekkari, ce n'est pas une affaire en rapport avec la corruption qui frappe l'appareil judiciaire, l'ex-ministre a été incarcéré le 11 juillet 2011 pour avoir épargné les gendres de Ben Ali, Imed et Moez Trabelsi, de se faire malmener par la justice française dans une affaire de vol de yachts au Port de Bonifacio, en Corse du sud, en France. Béchir Tekkari aurait monté le stratagème nécessaire pour que Imed et Moez Trabelsi ne comparaissent jamais devant une juridiction française. Pour sauver les apparences, ils ont été déférés devant une juridiction tunisienne, qui les a finalement condamnés à des peines non privatives de liberté. Béchir Tekkari a su donner un aspect purement formel à leur pseudo procès. Pareille affaire traduit certes les manigances du régime déchu, mais ne saurait toucher les réseaux courants de corruption. Même logique pour ce qui est de l'ex-ministre du Transport, Abderrahim Zouari, il a été incarcéré pour avoir aidé un autre gendre de Ben Ali, Moncef Trabelsi, dans une affaire de transport de pétrole importé par la Tunisie de la Libye. Les services du ministère, sur instructions du ministre, ont accordé au «gendre» des «faveurs», en dépit des textes de lois en vigueur. Il ne s'agit donc nullement de pots-de-vin dans les grands marchés de l'Etat dans le secteur du transport. Mais d'un «petit» dossier n'impliquant que l'ancienne «famille» régnante.Le contenu des dossiers retenus contre les ex-ministres libérés pousse à se poser des questions sur le choix des thèmes et du timing de ces libérations. Transaction La classe politique se rappelle qu'en août 2011, Zouari et Tekkari avaient été «libérés» une première fois, avant qu'ils ne soient réincarcérés de nouveau dans la journée, pour l'ex-ministre du Transport (Abderrahim Zouari), et dans les 24 heures suivantes pour l'ex-ministre de la Justice (Béchir Tekkari). Il est vrai que les réseaux sociaux se sont alors emportés contre ladite libération, poussant le pouvoir politique à revenir sur la décision, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les gaffes de la Troïka gouvernante ont réduit l'agressivité de l'espace socio-politique contre les symboles du régime déchu. Toutefois, il n'est pas écarté qu'il y a de la manœuvre politicienne de la part des islamistes d'Ennahdha, qui chercheraient à «monnayer politiquement» ces dossiers. Selon plusieurs observateurs politiques, la libération de Abderrahim Zouari et de Béchir Tekkari ouvre normalement la voie à la libération d'autres prisonniers «dits politiques», comme l'ex-homme fort du palais, Abdelaziz Ben Dhia, ou l'ex-président de la Chambre des conseillers, Abdallah Kallel, ou encore l'ex-conseiller présidentiel, bête noire des médias, Abdelwahab Abdallah, puisque leur détention ne saurait dépasser légalement les 14 mois, ce qui est déjà consommé. A moins qu'on ne leur reproche de nouvelles affaires, dans de nouvelles instructions, auquel cas on peut reconduire la détention pour 14 autres mois. Un deal ? Cela semble être le cas pour Abdelwaheb Abdallah, Abdelaziz Ben Dhia et Mongi Safra, qui ont été convoqués le 7 novembre par le juge d'instruction pour une nouvelle affaire, sans qu'il y ait toutefois d'émission de nouveaux mandats de dépôt. Une transaction en gestation ne serait pas écartée si l'on sait la Nida'-phobie d'Ennahdha par rapport au parti de Béji Caïd Essebsi. Les islamistes miseraient peut-être sur le ralliement d'une frange des ex-RCDistes en contrepartie de possibles libérations. Le ralliement de tous les ex-RCDistes à Nida' Tounes risquerait de compliquer davantage la tâche des islamistes dans leur course pour rempiler au pouvoir. Par ailleurs, les pressions aussi bien extérieures qu'intérieures pour que la justice obtienne son indépendance pourraient être également à l'origine, en partie du moins, de cette décision. La Tunisie et l'Union européenne vont entamer prochainement les négociations officielles sur l'accord de libre échange complet et approfondi, prélude à l'octroi du statut de partenaire privilégié. Les observateurs sont convaincus que l'octroi de ce statut a été bloqué pour deux raisons : l'indépendance des médias et de la justice. Si les prémices d'une indépendance des médias est là et bien là, il en est autrement pour la justice. Avec ces deux libérations, et les probables autres qui devraient suivre dans les prochains jours, le pouvoir (et spécialement Ennahdha) veulent donner des signes quant à l'indépendance réelle du pouvoir judiciaire. Le tableau politique est très complexe pour le démêler facilement. Attendons pour voir.