Derrière les symboles façonnés par les écrivains, il y a souvent des personnes et des situations réelles. Des sources ancestrales de l'écrivain à la rencontre avec la femme qui inspira Nedjma. En 2006, sous la plume de Benamar Mediene, paraissait à Paris et Alger, Kateb Yacine, le cœur entre les dents (Editions Robert Laffont et Casbah Editions). Le livre fournissait une foule d'informations, souvent inédites, sur l'écrivain et permettrait de situer les différentes étapes de sa vie, de comprendre son travail littéraire ou dramaturgique ainsi que ses engagements. Il ne s'agissait pas à proprement parler d'une biographie, au sens académique du terme. Universitaire et critique, Benamar Mediene ne pouvait se cantonner aux règles du genre. Du fait de son long compagnonnage avec Kateb Yacine, il avait préféré assumer une sorte de biographie affective aux élans parfois romancés où la rigueur se proposait de tutoyer l'émotion. Le récit comprenait de larges extraits d'entretiens de son auteur avec Kateb Yacine, celui-ci répondant à des questions ou intervenant de son propre chef sur des sujets le concernant. Aujourd'hui, pour les lecteurs d'El Watan, Benamar Mediene a bien voulu en reprendre quelques passages significatifs (lire pages suivantes), en les modifiant parfois, pour donner à lire un texte qui laisse une place prépondérante aux propos de Kateb Yacine). L'écrivain remonte aux sources de ses origines, l'ancestrale tribu des Keblout, farouche et étonnante, en butte à l'ordre colonial et présente de manière obsessionnelle dans ses œuvres. Il raconte sa mère emportée par la folie après le 8 Mai 45. Il relate aussi sa découverte émerveillée, à l'adolescence, de l'amour et du plaisir. Il « dévoile » enfin celle qui lui inspira le personnage de Nedjma, sa muse et son égérie, le cœur de sa passion d'homme et d'écrivain. Derrière les symboles façonnés par les écrivains, il y a souvent des personnes et des situations réelles et, pour être devenue une allégorie féminine de l'Algérie en proie à l'oppression, Nedjma n'en est pas moins, au départ, une femme réelle. Benamar Mediene relate sa propre rencontre avec elle, sur le tarmac de l'aéroport de Marignane, il y a 20 ans de cela, devant les cercueils de Kateb Yacine et de Mustapha Kateb. L'Algérie perdait en même temps deux hommes de culture ! Il se trouvait qu'ils étaient cousins et que leurs corps prenaient le même avion pour être inhumés au pays ! Et devant eux, allongés, se tenait debout la Nedjma réelle, sœur de Mustapha, cousine et muse de Yacine ! Si l'on dit que Kateb Yacine fut l'homme d'un seul roman, sa vie a constitué jusqu'au bout la somme de nombreux romans. Est-ce ainsi que les destins deviennent des légendes ? Par : Arts & Lettres