Une écriture limpide, un courage moral remarquable, une signature d'envergure. Votre présence à Alger n'est pas la première. Quels souvenirs gardez- vous de vos précédentes visites ? Je suis venu la première fois en Algérie en 1976, puis en 1983. En 1976 à Oran, j'avais senti une certaine hostilité de la part de la population. Les regards étaient méfiants. aujourd'hui, je vois la gentillesse partout. Les gens m'accompagnent et me parlent. Les plaies de la guerre se sont cicatrisées. J'étais à Oran hier, et j'ai remarqué que la ville s'est agrandie. Il y a 33 ans, la ville était un peu sinistre, abandonnée. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Alger est une aussi belle ville. De la littérature algérienne, je connais les classiques, tels que Kateb Yacine et Mohamed Dib. Je connais Yasmina Khadra et, bien sûr, l'académicienne, ma collègue, Assia Djebar. Et quel votre rapport avec elle à l'Académie ? Il est nul parce qu'elle ne vient jamais ! Elle méprise l'Académie. En deux ans, je l'ai vu une seule fois. A l'Académie, des commissions travaillent. Moi, je fais partie de la commission des dictionnaires. C'est la référence absolue. Nous décidons de la définition des mots. C'est un petit groupe d'une dizaine de personnes. Il y a également la commission des prix qui décide des distinctions pour la littérature, le cinéma, l'histoire, etc. Il y a également les assemblés plénières, plus formelles, moins intéressantes (...). Je fais également partie du jury Médicis dont le prix a beaucoup d'impact. Le seul critère pour accorder un prix est le talent. Le livre doit plaire. Les auteurs africains ou asiatiques sont rarement primés en France... Au contraire, il y a un grand intérêt pour ces auteurs. Ce n'est pas infaillible. Il y a sûrement eu des erreurs. Depuis 50 ans, et dans tous les jurys importants, il y a forcément des ratages. Mais dans l'ensemble, ça se tient. Il y a un avantage en plus pour les écrivains francophones aujourd'hui. C'est dans l'air du temps. On est plus attentif. Il est certain que l'étranger apporte un nouveau souffle. Un écrivain comme Andreï Makine, qui est d'origine russe, apporte beaucoup à la littérature écrite en français. Il en est de même pour les Caraïbéens qui apportent tout l'imaginaire des îles. Il y a aussi le Libanais Amine Malouf. A l'Académie, nous avons un écrivain chinois, un auteur argentin et une romancière algérienne. L'italien Giacomo Casanova écrivait en français. Les écrivains francophones participent au renouvellement de la langue. Votre dernier livre est Ramon, le prénom de votre père. Il y a comme une volonté chez vous de vouloir élucider quelque chose le concernant... Mon père était une figure intellectuelle importante entre deux guerres. Un grand critique littéraire, ami de Proust, de Gide, de Malraux, de Saint-Exupéry, de Mauriac. Malheureusement, il a eu une évolution politique désastreuse. Il est passé du socialisme au communisme, au fascisme puis à la collaboration avec le régime nazi. C'est une énigme. Comment un homme aussi intelligent, aussi cultivé peut-il collaborer avec les nazis. C'est pour cette raison que j'ai écrit ce livre, pour tenter de résoudre l'énigme. Savoir pourquoi un homme de cette trempe avait fait ce choix. Je n'ai toujours pas compris... Pour vous, la fonction première d'un roman est de raconter les histoires... C'est pour cette raison que j'étais toujours contre le nouveau roman qui ne raconte pas d'histoires et qui est ennuyeux. Il est formaliste. Le vrai roman est celui qui raconte des histoires avec des personnages. Dans mes romans, il y a des personnages historiques, des expériences, des voyages. Je suis un grand voyageur. J'étais marqué par l'Italie. J'ai tellement aimé ce pays que j'ai appris l'italien. Et j'en fais mon métier. J'ai vécu la moitié de ma vie en Italie. Et puis, la Russie, c'est le pays où la vie culturelle est la plus intense. Il y a une telle passion pour le livre, le théâtre, la musique... J'aime toute la Méditerranée. je suis attaché à cette région autant qu'à l'Amérique du Sud qui est le prolongement de la Méditerranée. Je connais la Tunisie et le Maroc. Des pays trop touristiques pour moi. J'aime beaucoup la Syrie et le Liban aussi. ! En 1974, vous avez écrit un livre qui a eu le prix Médicis, Porporino ou les mystères de Naples. Pourquoi le livre a-il eu autant de retentissement ? Parce que c'était le premier livre qui remet en valeur les castrats. Les petits garçons étaient castrés à Naples jusqu'à la fin du XVIIIe siècle pour garder leur voix d'enfant. Ils étaient des vedettes. J'aime beaucoup l'Opéra. Je me suis intéressé à la psychologie des castrats et à leur carrière, alors qu'on avait jamais entendu parler depuis deux siècles. Tout ce Naples du XVIIIe siècle était oublié. Je l'ai fait revivre à ma manière. Le roman revient sur la vie des élèves à l'école des castrats napolitains sous le règne du roi Ferdinand. Vous avez aussi rendu hommage à l'écrivain et cinéaste italien, Passolini, dans le roman Dans la main de l'ange. Un livre qui vous a valu le Goncourt en 1982. C'est un écrivain qui avait été assassiné par un voyou sur la plage d'Ostie en 1975. Quand j'étais à Rome, je l'ai bien connu. C'était une figure extraordinaire. Poète maudit. J'ai essayé de le reconstituer de l'intérieur. Il y avait beaucoup de zones d'ombre dans sa vie. Passolini ne parlait pas beaucoup. Il avait les joues creuses qui lui donnaient un aspect rebelle. Vous avez beaucoup travaillé sur l'art baroque également. Un art né en Italie. Pourquoi cet intérêt ? En France, il y avait un grand mépris pour l'art baroque. On le considérait comme un art décadent. L'Italie est entièrement baroque. J'ai étudié et suivi les traces des œuvres baroques à Prague, Vienne, Munich et même en Russie. Je voulais faire connaître aux français la beauté de cet art. j'ai écrit plusieurs livres sur cette forme artistique. Mon ami Ferrante Ferranti m'a accompagné avec des photos dans ces livres. Le texte n'est pas le commentaire de la photo et la photo n'est pas l'illustration du texte. Il y a le regard du photographe et le regard de l'écrivain. Cela fait deux livres en un seul ! À Alger se tient le Salon international du livre. Participez-vous à ce genre de manifestation ? Cela dépend des salons. Mais en général, je trouve que les salons sont ennuyeux. Pour les ventes-dédicaces, vous êtes assis à une table et les gens vous regardent. Vous attendez les clients. Quand vous regardez les gens, ils s'enfuient parce qu'ils pensent qu'ils doivent payer le livre. C'est effrayant. Je ne participe plus au Salon de Paris. Je ne participe que si je suis invité à un débat.