Elles s'appellent na Fatma, khalti Tassadit, Aamchi Messaouda ou Ouardia n'Slimane, toutes ont plus de soixante-dix ans. Elles sont les dernières tisseuses du douar M'kira. En effet, chacune d'elle aura tissé ou aidé à la réalisation de quatre à six burnous par an. Toutes réputées à travers les différents hameaux de la localité, elles ont su garder les techniques de fabrication transmises par leurs mères ou leurs proches durant leur adolescence. « C'est ma mère, que Dieu ait son âme, qui m' a appris le métier », nous confie khalti Tassadit du village de Bouhadj, ajoutant que la fabrication d'un tapis ou d'un burnous est un moment de joie pour toutes les fillettes qui devaient très jeune s'y initier avec le travail de l'argile pour confectionner les différents ustensiles dont la famille a besoin, car ce n'est pas comme aujourd'hui où il faut tout acheter. Ainsi, les gamines étaient appelées à aider, non seulement leur mère mais aussi n'importe quelle femme du village pour préparer d'abord la laine qui est lavée, cardée puis filée. Le jour J, la maîtresse de maison fait appel à d'autres voisines ou parentes pour l'aider et il appartient aux petites filles de faire les va-et-vient pour tendre les fils. Généralement, ce travail est fait dans la cour de la maison ou sur une assez grande place. Puis, lorsque le métier à tisser est en place, la grande opération commence avec la participation uniquement des femmes expérimentées. Le travail peut aller de dix à vingt jours. Pour na Fatma du village d'Imlikchen, ce qui fait la réputation d'une famille, c'est la qualité des burnous que leurs hommes portent lorsqu'ils se rendent au café, à la djemaâ, ou en d'autres circonstances. Tout repose donc sur la dextérité de la femme car un burnous doit être fin et léger. « Je suis vraiment navrée de voir mes petits-enfants sans burnous alors qu'auparavant nous leur offrons cette joie très jeune, surtout au moment de la circoncision », nous confie-t-elle, émue. Na Ouardia, pour sa part, nous fera remarquer : « Depuis que les habits modernes ont conquis nos montagnes, le burnous a perdu de sa superbe » et regrette que les hommes qui en possèdent soient rares, surtout par ces jours de neige et de grand froid. « La mariée quitte la maison paternelle avec un beau burnous blanc et le visage voilé d'un mendil que retient un turban jaune », nous déclare-t-elle. Toutes ces vieilles femmes regrettent que leurs filles actuellement ne s'intéressent ni au tissage ni à la vannerie. Elles souhaitent que le nouveau centre de formation professionnelle de Tighlt Bouguenni lance des sections d'artisanat. Plusieurs jeunes rencontrés à travers la localité disent ne pas possèder un burnous bien que l'envie d'en avoir un est grande. Agé d'une cinquantaine d'années, ammi Lounès qui exerce une profession libérale nous confie qu'il en a deux qu'il garde précieusement, et il est rare qu'il les prête à ses enfants. « Moi, jai toujours possédé un burnous depuis ma très tendre enfance, ce qui était auparavant une chose toute à fait naturelle. Mais, ajoute t-il, ce n'est qu'en avril 1980, avec ses événements, que j'ai réalisé toute l'importance de ce précieux vêtement, car j'appréhendais tous les jours mon arrestation. Alors je le gardais jour et nuit sur moi au cas où les gendarmes viendraient. Mon burnous pouvait servir dans la cellule de sac de couchage », se rappelle-t-il.