Les années passent, mais on revient sans cesse à Nedjma, ce roman « phénoménal », exceptionnel, tant de fois lu et relu et qu'on relira encore avec un plaisir « fascinant ». Certes, Kateb Yacine, ce sont aussi son deuxième roman, Le Polygone étoilé, son recueil de poèmes Soliloque, ses pièces de théâtre, Les Ancêtres redoublent de férocité, La Poudre d'intelligence, L'Homme aux sandales de caoutchouc, Le Cercle des représailles, etc. Ensemble et séparément, chacune de ses œuvres constitue la vaste fresque de l'univers katébien. Mais pour moi et pour la majorité des critiques et lecteurs, cet univers a commencé, s'est « concentré » avec et dans Nedjma. Le langage de ce roman, son style, sa forme, l'originalité de la manière de traiter et de revivifier un sujet (le nationalisme algérien), vieux comme l'Algérie, la force des symboles utilisés et l'exceptionnel génie katébien ont placé Nedjma au sommet des « classiques » algériens. Tout ce qui est difficile dans l'écriture d'un grand roman : régler le rythme interne de l'œuvre, le soutenir jusqu'au bout, mener à bien le problème de composition et d'agencement des événements narrés, réussir à brosser, aussi exceptionnellement que possible, le portrait des personnages, était rendu « génialement » par la plume de Kateb Yacine. Dans Nedjma, la force de la métaphore katébienne procède à la fois du sens exact de la couleur et de la forme, et du mouvement qui leur est conféré.Ce dernier détail est important car, sans le mouvement, le tableau resterait incomplet, il lui manquerait l'élément principal de la vie. La vie ? L'imagination créative et débridée, Kateb Yacine l'a symbolisée par Nedjma, la plus belle des femmes, l'Algérie de toutes les « Algéries », l'astre des astres, l'amour de tous les amours. L'héroïne de notre romancier est tantôt humaine, terrestre, tantôt mythique, fascinante, s'élevant au-delà de la barrière franchissable par les êtres humains. Nedjma illumine le roman de Kateb Yacine, éblouit les hommes tel un soleil aveuglant. Cependant, aussi mythique et surréaliste que soit le personnage de Nedjma, il est revêtu, dans les moments difficiles de la vie, des vertus humaines de conscience, d'honneur et de bonté. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, le génie de Kateb Yacine ne laisse pas le lecteur douter de « la véracité » des événements racontés par l'auteur ou de la construction de la trame romanesque. Cette dernière est menée de main de maître du début à la fin du roman. Tantôt rêveur, homme simple issu de la classe des pauvres, tantôt militant consciencieux et patriote convaincu, Lakhdar, le deuxième personnage principal du roman aime Nedjma, l'a toujours aimée comme on aime une chose impossible à atteindre, mais cependant nécessaire à notre vie. Et quoi de plus nécessaire que la Patrie ? Nedjma, cette « Etoile » n'est, en réalité, que la Patrie, l'Algérie. Kateb Yacine l'a confirmé à plusieurs reprises. Ses lecteurs l'ont compris depuis les poèmes de Soliloque. Comment peut-on aimer une « Patrie ? » De la difficulté à répondre à cette question, Kateb Yacine a tiré le personnage de Lakhdar, le « Vert », la couleur de l'emblème des premiers résistants algériens au colonialisme français. Mais Lakhdar de Kateb Yacine ne s'arrête pas au « Vert », cette couleur emblématique des Algériens. Lakhdar, cet amoureux de « L'Etoile » « Nedjma » est mythique comme son amante. C'est à partir de ces deux personnages mythiques que Kateb Yacine nous a donné son roman fascinant.