L'universitaire Ouarda Ensighaoui vient de publier son tout premier ouvrage Ils ont défié l'empire, Juba I, Tacfarinas, Firmus et Gildon, d'après des documents de l'époque, aux éditions Casbah. Dans cet entretien, l'auteure donne un éclairage sur le travail de recherche entrepris. Votre venez de publier un imposant ouvrage sur d'imposants personnages historiques. Pourquoi cet intérêt pour des personnages emblématiques ? L'histoire de l'Algérie ancienne est très mal connue du public d'aujourd'hui. Dans le passé, celle-ci a fait l'objet de nombreuses études qui étaient familières aux lecteurs plus ou moins initiés à cette discipline ou plus ou moins intéressés par les faits historiques qui ont marqué le passé de l'Algérie. Ces études, souvent magistrales, sont, toutefois, marquées par la subjectivité de leurs auteurs qui appartenaient, pour l'essentiel, à la période coloniale. Les figures historiques se sont vu, du fait de cette appartenance, amoindries par le regard de l' « autre » qui ne leur reconnaissait ni leur véritable stature ni leur apport au déroulement de l'histoire. Aujourd'hui, ces mêmes figures historiques sont les héros de romans. Massinissa et Juba II, notamment, ont fait l'objet d'un certain nombre de fictions, mais qui connaît réellement ces souverains ? C'est donc en réaction à l'une et à l'autre représentation, que nous avons décidé d'exhumer ces personnalités politiques et militaires et de reconstituer leur stature et leurs parcours d'après les textes de leur époque. Justement, votre livre est le fruit d'une minutieuse recherche puisque vous avez eu recours pour les besoins de la rédaction aux textes sources. Les textes sources sont, dans le cas des figures historiques retenues, des textes de la période antique. Ce qui signifie que notre analyse ne repose sur aucun jugement et sur aucune étude de la période moderne. Etant spécialiste de l'analyse du discours et ayant un certificat d'histoire dans notre licence, nous nous sommes donné pour premier objectif la recherche de ces documents et pour second objectif la reconstitution de l'image de quelques-uns des principaux résistants à l'occupation romaine. Pour Juba I (mort en 49 av. J.C.), nous nous sommes référés aux Mémoires de Jules César . Le combat que ce roi numide a livré au « divin César » ne figurant pas de manière continue dans les 3 volumes qui constituent cet ouvrage, il a fallu retrouver les fragments qui concernent ce personnage. Ce sont ces morceaux épars que nous avons recollés qui ont servi, avec quelques autres informations données par d'autres auteurs de la même période, à la reconstruction de la personnalité de ce roi et des rapports qu'il a entretenus avec les Romains. Ceux-ci n'étaient alors que les « amis » de ses ancêtres Massinissa, Micipsa et Hiempsal II. Le nom de Tacfarinas (mort en 24 ap. J.C.) a toujours fait partie du paysage politique et culturel de l'Algérie mais aucun nom d'auteur ne peut être mis sur le texte qui a fait sa renommée. Ce chef numide a été immortalisé par les Annales de Tacite. La stratégie de ce type d'écrit étant de relater les faits année par année, il a fallu ici aussi retrouver dans les différents volumes les fragments relatifs à la révolte de ce personnage. C'est à l'aide de ces fragments qu'ont été cernés et évalués le charisme de ce résistant et l'ampleur de sa révolte. Firmus et Gildon étaient des officiers dans l'armée romaine. Leur père Nubel était lui-même un militaire qui a achevé sa carrière comme chef d'un certain nombre de tribus. C'est donc dans l'Afrique romaine et chrétienne du IVe siècle, et plus précisément en Grande Kabylie, que ces deux personnages, moins connus que les deux précédents, ont évolué. Le combat de Firmus nous a été rapporté par Ammien Marcellin sur quelques paragraphes de son « histoire » que nous avons dû chercher et réunir. Celui de son frère Gildon a fait l'objet d'un long poème de Claudien intitulé Bello Gildonico . Cet auteur était un poète de cour au service de la famille des Théodose. Les deux révoltes avaient pour arrière- plan la révolte de saint Donat et des Circoncellions et étaient motivées par le même désir d'expulser l'occupant romain de la terre des ancêtres. Vous affirmez que votre but n'est pas de faire de Juba I, de Tacfarinas, de Firmus et de Gildon des idoles scintillantes mais de leur restituer leur véritable stature politique et leur aura de résistants à la dépossession et à l'occupation romaines. C'est justement pour éviter de tomber dans l'éloge que nous avons fait suivre la reconstitution des quatre figures historiques par les textes qui ont servi de matériaux. Ces textes ont donc une double utilité. Ils servent d'abord d'illustration à notre analyse et d'arguments pour conforter nos certitudes. Ils sont ensuite portés et proposés à la connaissance du lecteur qui dispose de textes sources jamais mis au jour par les historiens. Votre travail, axé sur la mise en texte et la mise en scène d'un fragment de l'histoire de l'Algérie, peut-il, à votre avis, contribuer à mettre à mal ce processus d'infériorisation des cultures et des civilisations non européennes ? Certainement, car notre préoccupation est plurielle. Nous voulons d'abord faire connaître un pan de notre histoire de manière objective et à l'aide de sources grecques et latines. Celles-ci nous ont laissé, sans le vouloir, de précieux renseignements sur notre passé. Ces renseignements nous sont parvenus dans des ouvrages qui ont écrit l'histoire de Rome et c'est donc grâce aux plumes de certains historiens grecs et romains que nous avons pu exhumer certains faits et certaines personnalités de notre pays. Nous voulons ensuite montrer que notre identité plonge ses racines dans la nuit des temps et que cette identité, faiteaujourd'hui de strates, n'est pas une mais plurielle. Nous voulons enfin, et cette réponse répond bien à votre question, montrer qu'il n'y a pas de peuple sans culture et qu'il n'y pas de hiérarchie dans les civilisations. Avez-vous des projets en perspective ? Oui, une autre publication qui est en voie d'achèvement. Nous en reparlerons au moment opportun.