C'est l'événement de cette journée ensoleillée de vendredi et les lieux qui lui sont consacrés se sont avérés trop exigus. De nombreux jeunes et moins jeunes ont suivi durant des heures le débat en restant debout. A la tribune, en plus de l'amenokal, d'autres chefs de tribu, comme Guemama Abderrahmane, Benmassaoud Abderrahmane, Badi Sidna, Moulay Yazid ou encore Boumezrag Chenani. Prenant la parole en premier, sous les applaudissements et les youyous de l'assistance, Edabir Ahmed revient sur les circonstances de la manifestation. «Sur insistance des notabilités, des chefs des tribu et des jeunes de l'Ahaggar, j'ai organisé une rencontre avec les chefs de tribu et ce rassemblement. Nous n'avons pas de pays de rechange. L'Algérie est notre seule et unique patrie. Nous faisons en sorte de respecter les engagements de nos aïeux qui se sont sacrifiés pour elle. Mais aujourd'hui, nous voulons que nos dirigeants s'occupent de nos enfants. Des jeunes qui n'ont pas pour habitude d'aller errer entre les wilayas à la recherche d'un travail. Malgré les difficultés, ils sont restés chez eux. Ils sont là et attendent que leurs droits leur soient donnés. Tous les Algériens sont les bienvenus à Tamanrasset, mais la priorité revient aux enfants de l'Ahaggar. Nous avons préparé plateforme de revendications que nous adresserons à qui de droit grâce à votre contribution», lance Edabir sous les acclamations. Il reprend sa place à la tribune et Hamadou El Mokhtar fait la lecture de la plateforme de revendications présentée la matinée en présence des chefs de tribu. «Nous ne sommes pas un patrimoine folklorique» Il exprime son regret de ne voir qu'un seul député présent dans la salle, alors que tous les élus avaient été invités, dit-il. «Nous voulons que nos dirigeants changent le regard qu'ils portent sur nous. Il ne faut plus qu'ils nous voient uniquement sous l'angle du folklore parce que nous portons le chèche. Nous en avons assez du silence imposé aux jeunes. Nous portons tous le pays dans notre cœur et craignons aussi pour sa sécurité et son unité. Il y a des milliers de jeunes diplômés qui chôment dans notre wilaya. Les dirigeants sont incapables de nous voir autrement que chauffeurs et guides. Nous leur disons que nous sommes capables d'administrer et de gérer notre région, donnez-nous juste l'occasion de le prouver», déclare l'orateur, avant de conclure : «Nous ne voulons plus que notre région serve d'exil pour les cadres sanctionnés, ou d'école pour les administrateurs stagiaires.» De nombreux intervenants prennent la parole et chacun n'y va pas avec le dos de la cuillère, tout en rappelant à chaque fois, l'attachement à l'unité du pays. «Nous ne sommes pas mieux que les autres Algériens, mais nous voulons juste être leurs égaux, que nous ayons les mêmes chances d'accès aux postes de responsabilité, à toutes les écoles de formation, aux universités, aux différentes filière universitaires, etc. Nous en avons assez de la tutelle. Nos parents se sont battus pour se libérer de la tutelle du colonialisme, nous aussi nous nous battrons par tous les moyens contre cette tutelle, même si celui qui l'exerce est algérien.» Hadj Ramdane, un notable connu, fait vibrer la salle avec son langage cru. Il espère que l'organisation ancestrale de l'amenokal soit réinstaurée tout en l'adaptant à la modernité. «Il faudra faire en sorte que chaque tribu puisse désigner elle-même son délégué, qui fera partie d'un conseil consultatif, qui aidera l'amenokal à parler au nom de tous et à impliquer les jeunes dans la gestion de leur cité», dit-il. Il revient sur l'histoire de la région, en disant qu'elle n'a jamais été enseignée aux Algériens, alors que c'est l'amenokal Bey qui a «libéré les deux tiers du pays en refusant à de Gaulle la séparation du Sahara». Après d'autres déclarations allant dans le même sens, Hamadou fait la lecture de la déclaration finale à l'assistance, qui consiste en l'annonce de la création d'un conseil de tribus, de notabilités et de jeunes de l'Ahaggar, qui doit prendre en charge toutes les préoccupations de la région et les soumettre aux plus hautes autorités du pays. Une déclaration fortement applaudie. Des jeunes demandent la parole. «L'unité du pays est consacrée chez nous. Personne n'osera la toucher tant que nous sommes vivants. Mais nous voulons, pour une fois, que cette Algérie nous regarde un peu et voit les disparités qui existent entre les jeunes qui vivent au Nord et ceux qui vivent à Tamanrasset. Il faudra que les dirigeants sachent que sans le Sud, ni l'Est, ni l'Ouest, ni le Centre ne pourront survivre», lance le jeune, âgé d'une trentaine d'années. Un autre lui emboîte le pas : «Comment expliquer que notre amenokal Bey Akhamokh ne soit pas connu ? Le jour où il y aura son nom à Alger sur un bâtiment public, les nordistes chercheront à comprendre qui est-il et là ils découvriront ce qu'il a fait pour le pays. Il faut que les dirigeants sachent que les jeunes de Tamanrasset ne constituent pas un problème pour l'Algérie. Ils sont la garantie de la protection de son unité.» A la fin de la rencontre, Ahmed Edabir reprend la parole. «Certains ont demandé un mois pour désigner les délégués des jeunes et des tribus, moi je vous laisse deux mois. Après, nous soumettrons vos revendications à qui de droit et nous veillerons au suivi de chacune d'elles sur le terrain…»