Une information presque anodine parue dans le périscope du Soir d'Algérie : l'ENTV se préparerait déjà à faire campagne pour le quatrième mandat de Bouteflika. L'Unique n'a pas encore de programme politique (ou propagandiste) précis pour cette perspective de 2014 qui n'est plus très lointaine, mais, nous révèle le journal, elle compte d'abord se renforcer matériellement en conséquence en se dotant de 4 cars de reportage et de caméras ultra sophistiquées qui serviront à valoriser autant que faire se peut l'image de l'illustre candidat. Ainsi, la priorité de l'investissement pour un événement du genre que la Télévision nationale considère toujours comme exceptionnel passe d'abord par l'amélioration quantitative et qualitative… du potentiel technique. Quand le défi de mobilisation atteint ce niveau, on ne compte pas l'argent, et tant que c'est le Trésor public qui paie, c'est forcément pour la bonne cause ! En tous cas, si l'info s'avère vraie — jusque là il n'y a aucun démenti — toute cette agitation qui est en train de s'opérer autour de cette emblématique ouhda rabiaâ que beaucoup (et pas seulement l'opposition), jugent inopportune et carrément de trop devient superflue. Mieux, le silence que le Président tente de garder comme un atout capital de sa stratégie électorale devient tout simplement un… secret de Polichinelle. D'ailleurs, sur ce point, nos meilleurs politologues du moment, s'ils ne savent pas exactement ce qui se trame du côté d'El Mouradia, ne se montrent pas pour autant surpris, dans leurs analyses, de voir le premier magistrat rempiler pour un nouveau quinquennat, même si lui-même ne semble pas tellement enthousiaste de son entreprise comme il l'a été pour les mandats précédents. Pourquoi notre Président refuse-t-il de céder le Pouvoir, pourquoi alors que l'opportunité est idéale, tourne-t-il le dos au jeu de l'alternance que l'Algérie réclame depuis des années pour asseoir son processus démocratique sur des bases solides et saines ? Pour avoir modifié de manière unilatérale la Constitution en prévision de la dernière élection présidentielle en date, avec cette garantie de tirer obligatoirement le billet gagnant, Bouteflika avait déjà commencé à perdre de sa superbe devant l'opinion publique qui pensait que la démarche du Président n'entrait pas véritablement dans les mœurs de la démocratie et que par conséquent la troisième phase de son règne s'apparentait à un coup de force qui battait en brèche le fragile équilibre du Pouvoir qui avait mis du temps, beaucoup de temps, à se dessiner. Que penser aujourd'hui de son ambition de ne rien lâcher de ce Pouvoir qui grise, alors que lui-même avait publiquement dressé un bilan négatif de son action avant de lancer à la cantonade à Sétif que le temps de sa génération est passé à travers le fameux «tab djenana» ? Si on ajoute son état de santé, qui ne serait plus à même de supporter les lourdes responsabilités du pays — les Algériens savent que leur Président n'a plus la santé d'avant — et ses contacts avec son peuple qui sont devenus de plus en plus rares et fantomatiques, proches en tous cas d'une «démission» délibérée et volontairement assumée face aux multiples problèmes qui secouent la société, dont ceux liés à la corruption sont parmi les plus contraignants pour un chef d'Etat qui a voulu donner l'image d'un pays serein et stable, la question de savoir où il veut vraiment aller alors qu'il n'a pas de perspective précise reste effectivement très pertinente et devrait interpeller davantage toute l'intelligentsia qui forme la société civile. Ce qu'il est curieux de constater, c'est le ballet de courtisans qui s'est constitué par lui-même pour chauffer le bendir alors que nombreux parmi ces zélés flagorneurs de circonstance sont convaincus au fond d'eux-mêmes que Bouteflika ne possède plus humainement les capacités d'engagement pour diriger un pays qui a besoin d'être gouverné autrement, de façon moins autocratique, en tous cas d'une vision résolument tournée vers un projet de société démocratique et moderniste, et que lui n'a jamais voulu incarner. Ces courtisans ont toujours existé et existeront à l'infini tant que le système de gouvernance reste d'abord la propriété d'un groupe ou d'un clan ,et ensuite plus ouvert aux opportunistes de tous bords qu'aux gens compétents et intègres qui ne manquent pas dans notre pays. Si Bouteflika n'a ni la prétention, ni la capacité de réformer le système, pourquoi envisagerait-il de conserver le Pouvoir sachant que le quatrième mandat — s'il se confirmait — serait plus catastrophique que les précédents ? De cela, nos télévisions n'en parlent pas. Si l'Unique se prépare à mettre au point l'ambiance préélectorale comme le veulent les instructions qui viennent toujours d'en haut — toujours ce pouvoir de décision opaque —, les chaînes privées qui tentent de renflouer leurs audiences en traitant le social des Algériens et son lot d'injustices, ne font qu'effleurer le sujet en évitant les critiques qui fâchent. Pourtant le thème est capital pour les cinq années à venir. Pendant ce prochain quinquennat, l'Algérie doit ou relever la tête ou sombrer encore davantage dans les profondeurs du néant. Le pays aura donc besoin d'un Président actif et conscient des grands enjeux politiques et économiques qu'il faut affronter dans le contexte d'une mondialisation qui n'a que faire de la sociologie du paternalisme et des vieilles recettes du conservatisme. Où trouver cet homme providentiel, qui doit être un démocrate accompli s'il veut être à la hauteur de sa mission ? Jusque-là l'élection d'un président de la République chez nous s'est toujours réalisée sur la base de compromis, souvent douloureux, auxquels l'armée n'a jamais manqué d'être associée. L'heureux élu sait que les voix populaires des urnes sont moins importantes que les décisions qui émanent de derrière le rideau. C'est la spécificité algérienne qui ne devrait plus être une fatalité. Mais pour changer la donne, il faut d'abord accepter le jeu de l'alternance démocratique, et là aussi l'armée a encore son mot à dire.