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« Le pouvoir confirme son absence de volonté à lutter contre la corruption » Djilali Hadjadj. Porte-parole de l'Association algérienne de lutte contre la corruption
Djilali Hadjadj s'interroge sur l'utilité de la commission contre la corruption annoncée par le président Bouteflika. Il affirme que les partis, les services publics, les services de sécurité, la justice, les entreprises et les banques comptent parmi les instances les plus corrompues en Algérie. Le président de la République vient d'annoncer la création d'une commission ad hoc pour combattre la corruption, qui a pris de l'ampleur ces dernières années avec les différents scandales financiers qui ont éclaté. Selon vous, est-ce le moyen adéquat pour freiner ce fléau ? Pourquoi une commission ad hoc qui, par définition, est destinée à répondre à un besoin ponctuel ? Or, la lutte contre la corruption n'est pas une affaire ponctuelle : c'est une action de longue haleine. Et puis les propos du chef de l'Etat sont trop vagues et imprécis : il ne dit rien sur cette future commission nationale ad hoc. Quand sera-t-elle installée ? Quel sera son mandat ? Et qui définira ce mandat ? Quelles seront ses missions ? Sa composante ? Ce discours présidentiel a été très mal préparé par le ministre de la Justice. Le Premier ministre Ouyahia, en marge de l'ouverture de l'année judiciaire, a essayé de rectifier le tir en déclarant que la lutte contre la corruption nécessite une législation adaptée et des moyens matériels supplémentaires. Est-ce à dire que cette énième commission sera chargée de revoir la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption ? Cette loi est très pauvre : processus de déclaration de patrimoine vidée de sa substance et non appliquée, pas de protection des dénonciateurs de la corruption, pas de droit à l'accès à l'information, exclusion de la société civile, pas d'indépendance pour l'agence gouvernementale de lutte contre la corruption qui, même muselée par les pouvoirs publics au plan législatif et réglementaire, n'a toujours pas vu le jour, plus de trois années après sa création. Alors que justement, une de ses missions est d'évaluer périodiquement les instruments juridiques et les mesures administratives en la matière, afin de déterminer leur efficacité dans le domaine de la prévention et de la lutte contre la corruption. Une commission similaire, qui avait les mêmes objectifs, avait été installée du temps du président Liamine Zeroual… Pour rappel, en mars 1996, reprenant une promesse du programme électoral du chef de l'Etat de l'époque, Lamine Zeroual, le gouvernement annonça l'installation d'un organisme chargé de la prévention de la corruption. Cette initiative était déjà révélatrice à la fois de l'ampleur de la corruption en Algérie et de l'échec - voire de l'inertie - de la justice notamment, dans la lutte contre la corruption. En juillet 1996, l'Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption (Onspc) fut créé par décret présidentiel. Son rapport annuel ne fut jamais rendu public : le décret de création de l'observatoire ne le prévoyait pas. Placé sous la tutelle directe du chef du gouvernement, cet organisme, un de plus (un de trop) devait rester confiné dans l'ombre douillette du pouvoir et ne fera plus du tout parler de lui, jusqu'à sa dissolution le 12 mai 2000 par l'actuel président de la République, au même titre que d'autres institutions consultatives, sous prétexte que ces excroissances de l'Etat, outre leur inutilité et la dilution des responsabilités qu'elles entraînent, se traduisent par des ponctions injustifiées sur les ressources publiques, ainsi que le déclara officiellement le chef de l'Etat. Le pouvoir multiplie les diversions et les effets d'annonce, confirmant son absence de volonté politique à lutter contre la corruption : il dissout en 2000 l'Onspc créé en 1996, il créé en 2006 un Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, sans l'installer à ce jour, et il annonce, le 28 octobre 2009, la création d'une Commission nationale ad hoc ! L'IGF et la Cour des comptes sont-elles suffisantes, aujourd'hui, comme instruments pour combattre la corruption, d'autant plus que leur indépendance est souvent remise en cause ? Lui rappelant de très mauvais souvenirs, Bouteflika ne veut plus entendre parler de la Cour des comptes ! Créée en mars 1980 pour régler surtout des comptes au sein du pouvoir, la Cour des comptes a eu pour premier client, un certain....Abdelaziz Bouteflika : le dossier à charge n'a pas été difficile à remplir, tellement l'impunité était la règle pour tous ceux qui ont eu à occuper, de très longues années durant, des fonctions ministérielles importantes. Arrivé au pouvoir en 1999, Bouteflika a tout fait pour ignorer la Cour des comptes, refusant, par exemple, de publier le rapport annuel de cette institution au Journal officiel, alors que c'est une obligation législative : son prédécesseur a eu au moins le mérite de le faire à deux reprises. N'eût été la consécration constitutionnelle de cet organe de contrôle, on peut penser que Bouteflika aurait dissout la Cour des comptes. Il a essayé depuis, suite aux recommandations de la commission qui a planché sur la réforme des institutions de l'Etat, de substituer à la Cour des comptes une Inspection générale de l'Etat placée directement sous la tutelle de la présidence de la République. Mais visiblement, ce projet n'était pas pour plaire aux autres décideurs du pouvoir. En attendant, la Cour des comptes agonise, dirigée par le même commis du pouvoir depuis plus de douze ans ! C'est la même chose pour l'Inspection générale des finances (IGF), la grande muette nouvelle version, alors que les affaires de corruption se multiplient dans les institutions et administrations publiques dont elle a réglementairement en charge le contrôle. Un contrôle qui vient d'être élargi aux Entreprises publiques économiques (EPE). Cet énorme déficit des organismes de contrôle est aggravé par une absence totale d'échanges d'informations et de coordination entre eux ! Des procès sont intentés ces derniers mois contre, notamment, des responsables au niveau de certains ministères comme les Travaux publics ou encore la Pèche. Sommes-nous en train d'assister à une décantation au niveau du système judiciaire ? Il est illusoire d'espérer d'une justice, elle-même gangrenée par la corruption, qu'elle puisse sévir avec efficacité contre ce phénomène. Le dispositif légal pour combattre la corruption ne peut pas être considéré uniquement sous l'angle pénal mais doit inclure toutes les thématiques suivantes : l'accès à l'information, les conflits d'intérêts, les marchés publics, la liberté d'expression, la protection de ceux qui dénoncent la corruption et de ceux qui portent plainte, les élections démocratiques, la lutte contre l'enrichissement illicite, le contrôle de la légalité des décisions et des actes de l'administration par le juge, la séparation des pouvoirs, notamment l'indépendance des juges, etc. Certaines réformes de la justice sont certainement nécessaires pour tenir compte des difficultés spécifiques de poursuite des actes de corruption, mais elles ne sauront suffire. En effet, hormis la qualité intrinsèque des textes, leur application effective et équitable par des juridictions indépendantes composées de magistrats compétents et intègres, constitue l'indicateur le plus significatif de l'efficience des réformes dans le domaine juridique. Le prérequis fondamental est lié à la qualité du système judiciaire tant il est évident que, quelle que soit la qualité des réformes de la législation, celle-ci ne serait d'aucune utilité si la justice chargée de son application n'est pas indépendante de toutes les forces de pression ou si un nombre significatif de magistrats sont incompétents, craintifs, irresponsables ou corrompus. Aussi est-il indispensable de procéder préalablement aux réformes, à une évaluation objective et rigoureuse du système judiciaire afin d'être en mesure d'apporter les correctifs appropriés et, partant, créer un contexte favorable de réformes. En tant que responsable de l'Association algérienne de lutte contre la corruption, quels sont, selon vous, les secteurs les plus corrompus ? Nos enquêtes, divers sondages, de multiples entretiens et de nombreux courriers que l'on reçoit montrent que les secteurs les plus corrompus sont les suivants : les partis politiques, les services publics, tous les services de sécurité sans exception, la justice, les douanes, les entreprises et les banques publiques, le secteur privé, le Parlement, les services fonciers, les services d'enregistrement et de délivrance de permis, les services éducatifs, les services de santé, le fisc, etc. L'expérience de la petite corruption progresse dans toutes les régions d'Algérie, la police (et les services de sécurité de manière générale) étant le bénéficiaire le plus probable des pots-de-vin. Les résultats montrent, aussi, que les personnes interrogées issues de foyers à faibles revenus ont plus de chances de payer des pots-de-vin que celles de foyers à hauts revenus lorsqu'elles ont affaire à la police, au système judiciaire, aux services fonciers et aux services éducatifs. Le grand public ne passe pas habituellement par les voies officielles pour porter plainte en matière de corruption : 90 % des personnes ayant déclaré avoir versé des pots-de-vin n'ont pas déposé plainte officiellement. Environ la moitié des victimes de la corruption interrogée ne considérait pas les mécanismes de plainte existants comme efficaces. Quant à la grande corruption, elle émane essentiellement de la criminalisation de la gestion des marchés publics à tous les niveaux, phénomène encouragé par une très mauvaise réglementation et une culture des pratiques du gré à gré à tous les niveaux. Pratiquement, tous les grands projets inscrits dans l'énorme commande publique de ces 10 dernières années sont éclaboussés par des pratiques opaques. Comment s'annonce la 3e conférence des Etats-parties de la Convention des Nations Unies contre la corruption qui doit avoir lieu à partir de lundi au Qatar ? Sous de très mauvais hospices pour notre association, puisque le gouvernement algérien vient d'obtenir des Nations unies que nous soyons interdits d'y participer ! Après avoir été accréditée le 5 octobre dernier par l'Office contre le crime et la drogue qui pilote le secrétariat de cette conférence, notre association vient d'être "désaccréditée" à la demande du gouvernement algérien ! Gouvernement qui n'a pas respecté les délais réglementaires pour se prononcer sur notre participation ! Ce qui est, à proprement parlé, scandaleux et unique dans les annales onusiennes, d'autant plus que notre association fait partie des ONG accréditées auprès des Nations unies à Vienne, avec un statut d'observateur, ce qui nous avait d'ailleurs permis d'être représentés à la 2e conférence des Etats-parties en janvier 2008 en Indonésie. Après nous avoir tolérés, le pouvoir est en train de nous interdire de fait, confirmant son implication dans les agressions, intimidations, harcèlements et les multiples pressions que notre association subit depuis plusieurs années. Mais plus grave encore, le gouvernement algérien, aux côtés notamment de ses homologues égyptiens et pakistanais, va faire échouer la réunion de Doha, en rejetant tout mécanisme international de surveillance de l'application de la Convention des Nations unies, en bloquant la participation de la société civile dans ce processus et en refusant de rendre public son rapport d'évaluation ! Bio express Né dans les Aurès, le 15 février 1952, Djilali Hadjadj est diplômé en médecine (facultés de médecine d'Alger et de Marseille), métier qu'il a exercé comme spécialiste jusqu'en 1993 dans un CHU d'Alger. Il a en outre travaillé au sein de la Sécurité sociale pendant plusieurs années. Il est auteur d'un ouvrage intitulé Corruption et démocratie en Algérie. Djilali Hadjadj est journaliste depuis 1991 et anime une rubrique sur la corruption au Soir d'Algérie. Il fait partie des membres fondateurs, en 1999, de l'Association algérienne de lutte contre la corruption, dont il est le porte-parole.