Les imitateurs, et ils sont nombreux, n'inventent rien de mieux et c'est à juste titre qu'ils reconnaissent et saluent en lui le fervent défenseur de la chanson populaire engagée. A l'évocation d'Ahmed Saber, ses yeux s'illuminent et sa gorge se noue dans un geste de profonde réminiscence. Abdellah Saïdi parle avec considération du défunt chanteur engagé, disparu prématurément en 1971 à l'âge de 34 ans. Comme pour mieux cerner le dynamisme de caractère du chanteur contestataire post-indépendance, il évoque l'inénarrable auteur de El Khedma oualat oujouh en termes de variation du ton et du temps. Lui-même amoureux du verbe et de la verve puisés dans la réalité du quotidien, il s'interpose entre le vécu et le visu. Poète de la chanson populaire réaliste, ses paroles s'incrustent brutalement dans la tête comme un rappel à l'ordre. Moraliste ? Le poète chanteur s'en défend mais assène de sa voix calme les aphorismes par trop rigides. Tel qu'il est, il représente une force, celle de l'espoir que ne peuvent mater les contraintes. L'interprète de Visa, le tube qui fera chavirer les cœurs en folie ou en déraison, a, dans son répertoire plus de 80 qacidas. « C'est dans la réalité de tous les jours que je puise l'essentiel de mes poèmes. Je suis à l'écoute des pulsions des jeunes et des moins jeunes. L'originalité de mes écrits poétiques tire son essence du vécu des personnes malheureuses », dit-il tranquillement. « Si j'obtiens le visa, j'irai en France faire ma vie. Je me marierai avec une Française même âgée, pour faire mes papiers. » Contre l'injustice « Je retournerai au pays à bord d'une belle voiture. J'y construirai une belle maison entourée de fleurs. Je dirai alors adieu au chômage et aux turpitudes de la vie… » Même lorsqu'il s'agit de dénoncer les prévaricateurs, il ne s'en cache pas. « Je chante tout haut ce que tout le monde pense tout haut », glisse-t-il de sa voix calme, sans jeu de mots. La Terreur est son autre registre qu'il interpréta à Oran avant son exil parisien en 2001. Cette chanson dénonçant la corruption est fredonnée par les auditeurs oranais sur les ondes de Radio El Bahia. « Baraka man la terreur el hogra mataswachi ; Gib devise wa dinar barachwa takdi koulchi ; Koulach walla marché noir li thawass ma talkachi ; El îcha elle est trop chère les adultes et les mineurs yatmachou ghir bel kachi. » (Suffit la terreur car l'injustice est inadmissible ; Apporte la devise et le dinar avec la corruption tout est possible ; Tout est devenu marché noir ce que tu cherches tu ne le trouves point ; La vie est trop chère, adultes et mineurs s'adonnent aux psychotropes). Ami de longue date de la famille d'Ahmed Saber, Abdellah Saïdi aime à rappeler avec déférence la mémoire du grand poète Abdelkader Khaldi. L'auteur de Bakhta séjournait régulièrement à Oran où il se rendait au domicile d'Ahmed Saber. Ce dernier se déplaçait à Mascara pour inviter expressément le poète longtemps chanté par Ahmed Wahby et Blaoui Houari. La poésie populaire tire sa fermeté des mélodies qui narrent les faits de la vie de tous les jours. Ainsi, son origine remonte au XIIe siècle et emprunte ses modes à la musique arabo-andalouse en les simplifiant et se développe sous une forme littéraire plus proche de la population. Parmi les doyens de la poésie populaire, nous pouvons citer Lakhdar Benkhlouf, Abdelaziz El Maghraoui, Mohamed Ben Msayeb, cheïkh Abdelkader Khaldi et Mostefa Ben Brahim. La corruption, la hogra, le chômage, le terrorisme, la malvie, l'amour et l'exil sont autant de matières inlassablement disséquées par l'auteur-parolier-interprète. « Chaque jour on vit une crise ; C'est toujours les mêmes bêtises ; J'ai pris mes livres et ma valise ; Et j'ai quitté cet entourage. » Cet enfant de cœur de Saïda et néanmoins enfant de fait d'Oran s'initia à la poésie populaire dès l'âge de 16 ans. Elle ne le quittera plus. Les titillages ne semblent pas l'indisposer dans ses envolées poétiques réalistes. Toujours le réalisme dans la prosodie de Abdellah Saïdi qui fait pleurer l'amoureux de Saliha. Comme pour oublier leurs blessures, amoureux et énamourés pressent le chantre de leur raconter l'amour incommensurable de Adnane pour Saliha. Car il enfonce son poème comme on enfonce un poignard dans le cœur du souvenir ou une cuillère dans un bol de lait. On aurait dit un portrait vivant qu'on s'étonnait de voir revivre, qui restait avec notre époque en survivance parfaite. Il est difficile d'en parler sans apesanteur émotive. « C'est une idylle vécue avant que la mort ne fauche Saliha à la fleur de l'âge. C'est une histoire qui pourrait ressembler à bien d'autres, mais à bien des égards, l'amour noble entre Adnane et Saliha aura réussi à briser le tabou de l'âge. Plus jeune, Saliha vouait un grand amour pour Adnane plus âgé qu'elle. Le sort en a voulu autrement. » « J'ai un message qui doit passer » Cet évènement bouleversant mettra en émoi les proches et les amis des deux amoureux qui s'apprêtaient à convoler en justes noces : « Atbadal El hal baâd kan sahwou ; Chaâ akhbar el mout gâa nass ajraou ; Barq ichali Er rih wa dalma wa nou ; Ma aâdam dak el youm wa tolba yakrou. » (Le temps a changé après l'embellie ; La nouvelle de la mort (de Saliha) s'est propagée parmi les invités ; L'éclair scintille, le vent, l'obscurité et la pluie ; Grand fut ce jour (et) les talebs psalmodient…) Egal à lui-même, A. Saïdi aura ces paroles, écrites le 12 septembre 2001 à Paris : « J'ai un message qui doit passer ; C'est impossible de l'effacer ; J'ai tout écrit et classé sur l'islamisme et son image ; Je suis antiterroriste ; Ils ont tué les journalistes ; Les faux barrages sur toutes les pistes ; Ils avaient tous les mêmes visages… »