Rimiti remet ça ! Après plusieurs années d'éclipse hors du bled, la diva du raï nous a épatés, émus même: la mythique chikha s'est offerte au public dans toute sa nudité, touchante et attendrissante. Vingt-trois heures à la discothèque Bab Edzira, ex-Boum Boum. Celle-ci s'apprête à accueillir la diva du raï cheikha Rimiti à l'initiative de Rayane Production. Ce soir, ça grouille de monde. Vers minuit, ça sifflote de partout, on croit apercevoir la diva et puis non, fausse alerte. La salle s'est remplie à vu d'oeil. Parmi le public, on notera la présence de l'autre star de la chanson oranaise Zahouania qui est venue sans aucun doute rendre hommage à son aînée. Il faut remarquer que ces cantatrices possèdent le même manager, celui-là qui les a portées au sommet... Parmi l'assistance on arrive à distinguer aussi, Naïma Ababsa, Zakia Mohamed... à 00h00, les musiciens se mettent en place, deux bassistes, un au synthétiseur, un à la derbouka et un autre à la batterie. Le réglage du son se fera sous le rythme de Nsi Nsi de Khaled. Dix minutes écoulées et elle est là, enfin, la «mamie» du raï, sous bonne escorte jusqu'à la scène, enveloppée d'un drapeau algérien. Le ton est vite donné par Tahya el Djazaïr. Le bendir à la main, Rimiti déclare son amour pour son pays puis le rythme s'accélère tout à coup avec Nouar, titre phare de son dernier album qui fait fureur actuellement ici et ailleurs. «En compagnie de mon bien-aimé, j'irai jusqu'aux cimes de la montagne cueillir roses et fleurs, roses et fleurs au goût de miel, à offrir à celui que j'aime...», scande-t-elle. A la première note de cette chanson bien entraînante, la piste de danse est aussitôt envahie de monde. C'est sous une cadence endiablée, saccadée ou nonchalante qu'elle interprètera ses succès enchaînant tube après tube notamment Ghrast El Nakhla, y a moul radar bacharni bil kheir (chanson pleine d'émotion et de nostalgie) Charak, gataâ (Déchire, lacère) une évocation à peine voilée du dépucelage... ou encore La Kamel, titre qui sera repris quelques années plus tard par notre king international Khaled et enregistré sur son premier album en France en 1987 - musique signée Safy Boutella - qui marquera un tournant décisif dans l'histoire du raï. C'est la naissance du pop raï sur le sol français. De sa voix profonde qui porte loin, très loin, la cheikha chantera avec ses tripes, «ce blues des déracinés», la malvie, la «poisse» des braves, elle à qui la vie n'a pas fait de cadeau: «J'étais jeune et j'ai chanté tous les malheurs. Même l'exil, sans savoir ce que c'était. J'ai pleuré, souffert, été écrasée, meurtrie. C'est tout ça qui inspire mes textes», dit-elle avec sincérité. Heureusement que certaines de ses chansons inspirent la joie de vivre en l'occurrence Enouar, une chanson qu'elle nous servira deux fois avec beaucoup de bonheur. Et du bonheur elle nous en offrira volontiers ce soir et elle en recevra assurément de la part de ses fans et admirateurs, car comment expliquer que du haut de ses 79 ans la mama du raï ne s'est pas lassée de chanter ni ne s'est décidée de tout laisser tomber ? C'est qu'elle est indétrônable. Aussi, c'est la première femme à avoir sorti le raï des sentiers battus et l'avoir propulsé sur la scène artistique, grâce à sa voix légendaire et son tempérament de feu. Provocatrices, ses chansons plaisent parce qu'elles sont vraies, authentiques narrant le quotidien des petites gens. Ce raï-là, un raï propre à Rimiti a déchaîné ce soir la foule, un public averti ou tout juste converti. Née en 1923 dans un petit village algérien, analphabète et orpheline, malmenée par la vie, y compris par ses musiciens au tout début de sa carrière, Rimiti a su gravir pas à pas les marches de la gloire jusqu'à atteindre le sommet. D'aucuns lui reconnaissent son grand talent à faire fondre les coeurs. A 79 ans, Rimiti a su conserver toute sa fraîcheur et son âme juvénile. Réputé très macho, le milieu des raïmans, la dame Rimiti a su le dompter. Pour preuve, elle est toujours là. Nous-mêmes nous n'en revenons pas. Et mardi soir elle était bel et bien là, fière et élégante, ensorcelant plus d'une personne par sa voix chaude et «râpeuse». C'est en plein dans les années 50, au coeur de la Guerre d'Algérie que naît le phénomène des «cheikhates», maîtresse, d'un raï traditionnel et provocateur. La Rimiti en faisait partie. Son nom viendrait en fait de la déformation de l'expression «remettez ça» en référence à une tournée mémorable offerte dans un bar. Maîtresse de l'art bédouin, Rimiti excelle à jouer du guelal, l'essence même du raï traditionnel qui sera investi et enrichi des années plus tard par des influences diverses. C'est en 1954 qu'elle sort son premier disque intitulé Charak, gatâ, dans lequel elle ose s'attaquer à un sujet tabou et parle de la passion charnelle prenant ainsi comme toile de fond, la société algérienne. Un autre titre qui marchera beaucoup: La Kamel... El-gasba, baroud et el-guellal, ce sont là les instruments de musique sur le rythme desquels Rimiti a vécu et grandi. Des sons qui l'ont bercée et nourrie et qui continuent à alimenter son inspiration jusqu'à nos jours. D'ailleurs son premier guellal, acheté il y a 50 ans, Rimiti le garde précieusement chez elle pour ne pas oublier ses années de galère où «il n'y avait ni micro, ni rien du tout». Ses chansons les plus connues font partie désormais du patrimoine musical algérien. Beaucoup de chebs l'ont repris en feignant de ne pas connaître leur auteur... «Ils m'ont pillée, dit-elle, que chacun fasse son métier. Que chacun reste dans son service, et c'est tout ! Ils ont volé tout le monde. Ahmed Saber, Khaldi et tous les chouyoukh. Ils font semblant ne pas savoir. Le type a souffert, pétri, s'est cassé la tête et l'autre, il arrive et mange la galette!». Installée depuis la fin des années 70 en France, elle a fait les belles heures des mariages maghrébins. Elle a choisi un petit hôtel modeste pour vivre. Son activité musicale, elle l'a consacrera à différents festivals de musique arabe et de musique raï. Ce soir, elle est bel et bien là, en chair et en os, la grande diva de la chanson raï, devant nos yeux émerveillés, ravis et comblés. Le mythe, disions-nous, de la chanson raï nous a rendu visite mardi soir au grand bonheur des mélomanes et autres fêtards. Et c'est voilée du drapeau algérien, un superbe bouquet de fleurs, généreusement offert par le musicien et compositeur Safy Boutella, dans les bras qu'elle terminera son spectacle non sans rendre grâce au Seigneur et au Prophète... Une soirée mémorable ! Dommage que les deux autres prévues les 15 et 16 août aient été annulées à la dernière minute pour des raisons inexpliquées.