Les Algériens entrent dans la nouvelle année sans savoir vraiment comment l'aborder. Beaucoup d'incertitudes sans doute les attendent, mais il n'y a là, certes, presque rien d'anormal. C'est le lot de la nouveauté. Pourtant, il y en a une – et elle n'est pas des moindres, loin s'en faut – dont le pays aurait bien pu faire l'économie. Le rendez-vous électoral de la présidentielle. Cette échéance est tellement importante pour les nationaux qu'on ne devrait pas laisser la rumeur «gouverner» à la place des dirigeants politiques, dont c'est normalement la raison d'être avant tout à la tête du pays. Une présidentielle, c'est quand même sérieux, dans un pays sérieux. A moins que tout l'enjeu de cette consultation en soit réduit à la taille des ambitions qu'on lui destine, c'est-à-dire une simple formalité dont il faut vite évacuer l'essentiel, la sève, ce pourquoi on convoque le corps électoral afin de transformer le vote en un acte administratif tout juste bon à «légaliser», une démarche du reste condamnée parce que condamnable. En tout cas, s'il y a bien longtemps que les Algériens ont déjà commencé à bouder les urnes, la gestion politicienne de cette question à la faveur d'une stratégie de communication savamment distillée pour mieux obscurcir les horizons a fini par abattre, dans l'imaginaire collectif, le peu qui a subsisté après le démantèlement des modestes acquis démocratiques nés des événements d'Octobre 1988. Le pays qui se gargarise ainsi de «stabilité» depuis notamment la maladie de Bouteflika pour mieux faire avaliser le projet de le maintenir à la tête de l'Etat, en dépit des contre-performances enregistrées à pratiquement tous les niveaux, se voit ainsi glisser lentement mais sûrement vers l'abîme de la décadence, en ne sachant même pas quel cap prendre à l'heure où les cloches du changement véritable doivent se mettre à sonner de partout. Théoriquement, les élections doivent se tenir dans les délais prévus par la Constitution. Soit. Mais l'animation politique actuelle, rythmée par la cacophonie générale née des différentes positions des partis au pouvoir, des mélis-mélos d'initiatives d'une certaine opposition d'obédience islamiste et même de silence pesant des dirigeants de l'Exécutif, a fini par installer un climat d'hébétude générale qui consiste à dire «Circulez, y a rien à voir !» Il s'agit là d'un coup très dur asséné à la démocratie. Le pouvoir peut être tenté en effet par la volonté de pulvériser jusqu'à la dernière survivance du multipartisme, tel qu'il a été espéré par toute une génération de militants sincères de la démocratie, qui se révèle d'abord dans le choix du vote librement et sans contrainte d'aucune sorte. La nouvelle rhétorique du régime, qui invoque «la continuité» en lieu et place d'une élection pour mieux faire passer le message sur le 5e mandat, n'en est certainement pas étrangère. Cela trahit l'arrière-pensée du pouvoir qui ne veut plus devoir se prêter à l'exercice gênant et difficile de «faire semblant» quand tout paraît parfaitement frappé d'usure après une dizaine d'années (2009). Mais cette nouvelle année, qui commence ainsi dans un esprit de confusion générale, annonce aussi d'autres menaces. Rien que sur le plan économique, et sans vouloir bien sûr inciter au pessimisme le plus sombre, la situation risque d'être mauvaise, si le statu quo ambiant s'éternise. Il serait irresponsable pour les dirigeants actuels de maintenir les fausses solutions aux vrais problèmes. La «planche à billets» ne peut être la panacée, parce que tout endettement quel qu'il soit, même interne, doit avoir ses limites si l'on ne veut pas fragiliser davantage les capacités de notre très faible économie à rebondir. La crise des années 1980 peut malheureusement se reproduire en cataclysme. Il faut conjurer ce sort. Absolument.