Sous un semblant air de platitude, la réponse du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, inscrit dans le temps l'engagement d'une responsabilité politique. « Alea jacta est ! », point de retour en arrière après que le plus grand scandale touchant la compagnie nationale Sonatrach eut éclaté. Le Rubicon de la lutte contre la corruption étant aujourd'hui franchi par la tumultueuse affaire Sonatrach, il reste à savoir jusqu'où frappera la main de la justice. Il serait très préjudiciable à la justice et à l'image de marque de l'Algérie de s'arrêter à une petite ouverture de la boîte de Pandore qui, de l'avis de tous les observateurs, renferme bien des scandales beaucoup plus graves et nuisibles à l'économie nationale. La justice est aujourd'hui mise au défi de bien faire son travail et échapper aux interférences qui risquent d'obstruer son cours. Sera-t-elle à la hauteur de cette mission en sachant qu'elle demeure un maillon très lié à la chaîne du pouvoir et qui est donc en mal d'indépendance ? Ce qui est aujourd'hui certain, c'est que même si elle s'en tiendra aux seuls dossiers de l'équipe dirigeante de Sonatrach en détention, elle ne peut faire machine arrière et les conséquences peuvent secouer l'équipe gouvernementale. La responsabilité politique n'est pas exclue Si l'on s'en tient pour notre part aux propos du Premier ministre lors de sa dernière sortie médiatique, c'est à la seule justice de déterminer la culpabilité ou l'innocence des mis en cause. Dans sa réponse aux questions des journalistes sur la responsabilité politique qui est à engager dans pareil scandale touchant à la première compagnie mamelle de l'économie nationale, Ouyahia tonne une réponse qui prête à moult interprétations. Sous un semblant air de platitude, la réponse du Premier ministre inscrit tout de même dans le temps l'engagement d'une responsabilité politique. « Personne ne peut parler d'une responsabilité politique tant que la justice ne s'est pas encore prononcée sur cette affaire et tant que la présomption d'innocence peut être établie en faveur des incriminés », lance-t-il à l'adresse des journalistes comme pour inviter leur patience. Tout en n'affirmant pas la responsabilité politique dans cette affaire, le Premier ministre ne l'exclut pas non plus. Il souligne qu'elle demeure liée au sort des mis en cause. C'est-à-dire que si l'équipe dirigeante de Sonatrach se trouvant aujourd'hui au banc des accusés est jugée coupable, la responsabilité politique sera engagée de facto. Le sort du ministre de l'Energie, Chakib Khelil, est donc lié au cours que prendra le jugement de cette affaire. D'ailleurs, il le dit lui-même en lançant aux journalistes qu'il ne démissionnera pas de son poste de ministre puisque, dit-il, « la justice peut innocenter les cadres dirigeants incriminés ». Les signaux de khelil à son entourage Quand Khelil affirme ne rien savoir de l'enquête, alors qu'il est le premier responsable du secteur, cela renvoie à un niveau de lecture qui n'est pas à l'avantage du ministre. Car il ne s'agit sûrement pas d'une omission de la part des enquêteurs qui répondent à des niveaux de responsabilité plus importants que de ne lui avoir rien dit. Au déclenchement de l'affaire, on avait parlé de lutte dirigée contre le clan présidentiel vu le poids du ministre de l'Energie dans l'entourage présidentiel. Il se trouve toutefois que les enquêteurs disent agir au nom du Président, et que c'est lui-même qui a engagé les opérations de lutte contre la corruption, notamment à travers une circulaire datant du 13 décembre, date coïncidant avec l'ouverture du dossier. Dans sa dernière déclaration, Ouyahia ne limite toutefois pas cette lutte au seul Président en affirmant qu'elle est « essentiellement menée par le Président ». L'appartenance des enquêteurs au corps du renseignement renvoie quant à elle à cette autre instance dirigeant ces opérations « mains propres » à Sonatrach. Ouyahia a lui aussi mis la main au dossier en décidant en guise de contrôle d'avoir un droit de regard sur les marchés et transactions établis par la Sonatrach. Une manière de dire que le ministre a failli dans le contrôle, et qu'il y a urgence à revoir le fonctionnement de l'entreprise. Lorsque Chakib Khelil évoque, pour sa part, de manière préméditée « le clan présidentiel » pour se défendre en disant qu'il ne s'est jamais senti visé dans cette affaire, il lance, semble-t-il, un message à ses « amis du clan ». Par cette immixtion aventureuse du mot « clan » ou de « l'entourage du Président » dans le lexique officiel, Khelil veut dire que son sort est lié au « groupe », qu'il est un maillon du clan et s'il tombe c'est le clan qui chavirera. Aura-t-il un écho à son SOS ? Dans ce méli-mélo de déclarations aussi évasives les unes que les autres, une seule certitude est établie et qui est celle que la compagnie chargée de veiller sur la ressource essentielle du pays est en danger. Ce n'est sûrement pas d'un énième procès spectacle que l'Algérie a besoin mais d'une réelle justice.