Avec ou sans budget conséquent, les présidents recruteurs sont «obligés» de casser la tirelire. Au grand bonheur de certains joueurs, premiers et seuls bénéficiaires de la surenchère. Celle-ci ne fait pas l'affaire d'un football tournant le dos à la formation mise en quarantaine. Virtuelles ou réelles, les mensualités astronomiques proposées à certains professionnels n'ayant de professionnel que le «titre» ne laissent pas indifférents de nombreux observateurs. El Watan Week-end ouvre le débat. Des questions inhérentes à un aussi important sujet ont été posées à bon nombre d'acteurs (président, manager général, entraîneur, joueur et consultant). Certains d'entre eux ont bien voulu éclairer nos lanternes. D'autres, qui ont pourtant donné leur aval à participer au débat, n'ont pas jugé utile de répondre à notre sollicitation. DIRIGEANTS à L'INDEX Des acteurs tels que Nouredine Saâdi, Rachid Redjradj, Smaïl Diss et d'autres ont répondu ouvertement, d'autres ont préféré le faire sous le sceau de l'anonymat. A la question, le petit cercle de joueurs convoités mérite-t-il les faramineuses sommes proposées ? Les avis divergent. Smaïl Diss qui a débuté la saison à l'USM Bel Abbès, où il a mis fin à une riche carrière, pointe du doigt les dirigeants : «Il ne faut pas avoir peur des mots, les rétributions de certains joueurs n'obéissent pas à des critères techniques bien définis ou déterminés d'avance. L'inflation qui touche les salaires des joueurs incombe aux dirigeants. Faisant du football un métier, le joueur ne force pas la main à un président pour lui octroyer mensuellement 2 millions de dinars. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures, les dirigeants sont les principaux responsables de ce phénomène. Pour l'illustration, cette saison, un joueur de l'USMBA qui n'a disputé que deux matches a touché 9 millions de dinars. Dans ce cas de figure, la faute incombe à l'employeur.» SURMéDIATISATION La surmédiatisation de certains joueurs, qu'on surévalue injustement, fausse la donne. A la longue, les répercussions d'une telle démarche occultant le mérite et le talent seront lourdes de conséquences. Car la gestion de la carrière d'un joueur devant progressivement gravir les échelons de la rémunération est désormais biaisée. L'ex-de défenseur de charme de l'EN de la belle époque et consultant à la Chaîne III, Chaâbane Merzekane, n'abonde pas dans le même sens : «A mon humble avis, les mensualités, exigées par les joueurs ne forçant la main à personne, sont méritées. Le président qui accepte de débourser un tel montant n'a été ni forcé ni obligé à le faire. Le football fait partie de l'économie de marché, où la signature d'un contrat est la résultante d'une négociation. On ne doit pas s'offusquer que tel ou tel joueur perçoive un bon salaire. D'autant plus que la carrière d'un joueur est éphémère. La spécificité du football fait que certains joueurs sont plus ou moins bien payés, c'est tout.» CONCURRENCE DÉLOYALE Rachid Redjradj, le directeur général de la JSM Béjaïa, estime que le joueur algérien est surévalué : «Avant de parler de la rémunération, il est important de mettre sur le tapis, cette aberration d'avance sur salaire, une règle bien ancrée chez nous. Il est inconcevable d'attribuer à une nouvelle recrue ou un joueur qui rempile 3 ou 4 mois de salaires à l'avance. N'admettant pas une telle approche, la JSMB est obligée de suivre. Pour l'intérêt de notre sport roi, on doit bannir une telle pratique. A propos des salaires mirobolants proposés à une catégorie de joueurs, la JSMB fait l'objet d'une concurrence déloyale, à l'instar des clubs qui ne sont pas parrainés par Sonatrach. Ces clubs font dans la surenchère. Pour l'illustration, le gardien Cedric qui percevait à la JSMB 950 000DA/mois aurait vu son salaire quadruplé par le CSC. Je ne veux pas mettre en doute les qualités de certains joueurs, mais ils ne peuvent, pour des considérations techniques, prétendre à ces montants astronomiques net d'impôt dans bon nombre de cas. Une telle approche n'existe pas à la JSMB, où les déclarations fiscales et les cotisations sociales des joueurs sont à jour.» PRESSION DES SUPPORTERS Sous le sceau de l'anonymat, des présidents de club de Ligue I qui lâchent le morceau, agissent de la sorte rien que pour atténuer la pression de leurs supporters : «Il ne faut pas se voiler la face, nous n'avons pas les moyens de notre politique basée sur les gros salaires. Celle-ci est dictée par la pression des supporters conditionnés par une certaine presse, qui ne manque aucune occasion pour faire l'éloge d'un groupuscule de joueurs tout juste moyen. En contrepartie d'un salaire conséquent, le joueur est soit titulaire indiscutable en EN ou réclamé par un club étranger. A l'heure actuelle, ce type de joueur n'existe malheureusement pas chez nous.» Hormis Soudani (ex-ASO) qui a fait ses preuves au Portugal, aucun autre «pro» de notre Ligue I n'intéresse les clubs d'outre-mer car ne jetant pas l'argent par les fenêtres. La réalité est amère. Mais elle est là. On ne doit donc plus cacher le soleil avec un tamis. Notre sport roi qui ne produit plus, importe maintenant à grands frais. Percevant mensuellement entre 8 et 9000 euros en Ligue II française, des joueurs sont courtisés contre une mensualité oscillant entre 15 et 20 000 euros. ABSENCE DE CONTRôLE La course aux résultats immédiats et par tous les moyens est un danger pour notre football en particulier et le sport en général, sachant que les autres sports collectifs se mettent de la partie. Les pouvoirs publics doivent intervenir. En matière de marketing, combien de maillots portant le nom de X ou Y ont été vendus cette année ? Quel est le joueur qui a été sollicité pour vendre un produit ou véhiculer l'image de marque d'une entreprise ou d'une firme nationale, publique ou privée ? La réponse est connue d'avance. Cette politique mènera notre football vers l'impasse, pour ne pas dire autre chose. Un tel procédé a laminé les clubs formateurs et dénicheurs de talents. Mieux encore, certains présidents, qui ne se maintiennent que grâce aux deniers publics, trouvent le moyen de verser des centaines de millions à des joueurs gravement blessés. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. L'absence d'un contrôle rigoureux a encouragé tous ces dépassements. Gérées comme une épicerie, des équipes ne trouvant aucune gêne à verser des salaires astronomiques n'ont pas procédé aux retenues (IRG et cotisation de la Sécurité sociale) depuis 2010, c'est-à-dire le début du professionnalisme en Algérie qui a échoué. Le salut de notre football, gangrené par les dessous-de-table et les caisses noires qui existent quoi qu'on dise, passe par un assainissement à tous les niveaux. INTERMéDIAIRES Saïd Allik, l'ex-homme fort de l'USMA, incrimine les intermédiaires gravitant autour des joueurs et des clubs : «L'exagération dans la cotation de joueurs frappe notre football depuis 5 ans. Pour se maintenir à la tête de leur formation, des présidents n'ayant rien à voir avec le football ne lésinent pas. Les nombreux intermédiaires qui se mettent entre le club et le joueur enveniment l'atmosphère. Le rôle de certains journalistes faisant office d'agents de joueurs n'arrange pas les choses. Attribuer mensuellement 4 millions de dinars net d'impôt est une folie. Pour mettre un terme à la suspicion qui entoure la relation club et joueur, la transparence fera beaucoup de bien à notre football devant bannir l'esprit clubard, responsable dans une certaine mesure de sa régression.» Hacen Hamar, directeur général de la SSPA-Blacks Eagles (ESS), considère que l'Entente de Sétif n'a pas les moyens pour offrir de gros salaires ayant à une certaine époque fait le bonheur des hautes plaines sétifiennes : «Avec un budget prévisionnel situé entre 300 et 350 millions de dinars, l'Entente ne peut s'offrir des joueurs à gros salaires. Pour la saison prochaine, la fourchette des salaires à Sétif oscillera entre 800 000 et 2 millions de dinars brut. Pour un joueur capable de faire la différence ou bousculer à lui seul certaines situations de matchs, on peut faire des folies. Le statut et les objectifs du club l'exigent. Je ne peux par ailleurs émettre le moindre avis sur la démarche des autres clubs.» FAUSSE AMBITION Avec sa franchise coutumière, Noureddine Saâdi, qui n'est plus à présenter, enfonce le clou et parle de l'expérience tunisienne : «Les joueurs percevant de tels montants sont en principe aptes à évoluer à l'étranger. Malheureusement, aucun n'est sollicité. Ayant non seulement relancé mais boosté la valeur marchande de bon nombre de joueurs, des formations comme l'USMH et à un degré moindre l'ES Sétif sont à mon avis les plus touchées par cette surenchère. La hausse démesurée de certains salaires est dictée par la fausse ambition de certains dirigeants, otages de ces joueurs, alors qu'en Tunisie le joueur est un outil de travail, point barre. L'absence de progressivité dans la gestion des carrières de nos joueurs qui ne sont pour rien, ouvre la voie à la démesure. Un salaire élevé se mérite et obéit à des critères techniques rigoureux. Pour le cas de la Tunisie, où le salaire ne dépasse guère les 3000 euros, le joueur n'est jamais payé d'avance. La prime de signature appelée prime de rendement pouvant atteindre les 50 000 euros n'est versée qu'en fin de saison. C'est-à-dire une fois le rendement évalué et les fautes comptabilisées.»