L'opération, qui en rappelle déjà une autre lancée il y a à peine une année, a été décidée d'une manière brusque, brutale et sans aucun préavis, ne passera pas sans surprendre aussi bien les habitants concernés que la population constantinoise. Au motif que ces bâtisses menacent ruine et que leurs occupants ont bénéficié d'appartements en 2001 dans le cadre d'une opération de relogement, mais continuent d'occuper les lieux, les autorités locales de la ville ont dirigé une véritable « opération commando ». Après l'expulsion, parfois par la force, des familles, le passage des machines de destruction massive ne fera aucune distinction entre des maisons dont la valeur historique et architecturale n'est plus à prouver et celles menaçant ruine. Mercredi dernier, quatrième jour d'une campagne qui se poursuit toujours, on a trouvé des familles entières « habitant » la rue. Certaines, ne sachant plus à quel saint se vouer, affirment, documents à l'appui, qu'ils ne sont ni des intrus ni des squatters, mais qu'ils attendent depuis longtemps un relogement qui tarde à venir. Le cas de deux familles habitant à la rue Benzegoutta (ex-Morland), à proximité de la mosquée Sidi Afane, demeure révélateur. « Nous n'avons bénéficié d'aucun logement, et nous sommes prêts à le prouver, mais les autorités qui ne veulent pas nous entendre cherchent absolument à détruire cette maison », nous dira un père de famille et de poursuivre : « Nous vivons un véritable cauchemar avec nos enfants car nous n'avons pas où aller. » Dehors, les lieux sont méconnaissables. Des riverains craignent déjà que les masses n'atteignent, un peu plus bas, la maison des Bentchakar, plus connue par Dar Daikha, fille de Hadj Ahmed bey, une bâtisse en voie d'être classée en raison de sa valeur historique. Non loin de là, la rue des Cousins Kerouaz, plus connue par « Zenkat Lamamra », un lieu historique pour avoir connu plusieurs martyrs de la ville, risque d'être rasée après la démolition de trois maisons et qui seront suivies par d'autres. Au n° 1 de la même rue, la démolition de la fameuse Dar El Meharsi à l'architecture arabo-mauresque fera l'effet d'une bombe parmi les voisins. « C'est un pan entier de notre mémoire collective qui vient de nous être arraché », commentera un vieil homme. En remontant la rue Abdellah Bey, connue par Essaïda et à quelques pas de la mosquée Essaïda Hafsa, c'est Dar Beloucif qui en fait les frais, alors que ses locataires quittent l'endroit, en silence et dans une grande désolation. Pour les associations qui œuvrent, contre vents et marées, pour la protection du patrimoine de la vieille ville, les prétextes donnés par le chef de daïra sont fallacieux. « Si l'évacuation des occupants s'imposait, les autorités mureraient les accès aux habitations et interdiraient aux propriétaires de les louer sous peine d'être poursuivis en justice », nous diront des résidents de la vieille ville. Selon des spécialistes que nous avons interrogés, le recours à la destruction « sauvage » des maisons supposées menaçant ruine pourra nuire inéluctablement au tissu architectural de la vieille ville surtout que celle-ci est en voie d'être classée patrimoine national. Il y va en contresens du projet de réhabilitation et du fameux Master plan engagé avec des experts italiens et pour lequel l'Etat a dépensé des budgets importants. Alors que les réactions des habitants se sont limitées à une courte résistance vite étouffée, des Constantinois qui s'inquiètent des tournures que prennent les choses, ne comprennent toujours pas le silence affiché par le wali de Constantine, connu pourtant pour l'intérêt particulier qu'il voue à la réhabilitation de la vieille ville et pour laquelle il a installé toute une institution. Sinon, où se trouve la faille ? En attendant, le massacre de la vieille ville continue.