En dépit des augmentations considérables des subventions, transferts sociaux et autres aides aux ménages durant ces dernières années, le nombre de nécessiteux pendant le mois de Ramadhan ne semble pas diminuer pour autant, mettant en évidence une inadéquation des solutions destinées à prendre en charge durablement les couches sociales les plus démunies. Au cours des 14 dernières années, les aides aux ménages ont atteint «près de 3000 milliards de dinars, soit plus de 26% des transferts sociaux financés par le budget général de l'Etat», selon l'économiste Farid Yaïci. Au cours des six dernières années, ces aides ont augmenté de plus de 300%. Pourtant, à la veille de chaque mois sacré, l'opération couffin du Ramadhan vient relativiser l'ampleur de ces chiffres. Pour le Ramadhan 2013, le ministère de la Solidarité nationale avance des chiffres entre 1,6 million et 1,8 million de familles ciblées par les opérations d'aides. Le couffin du Ramadhan 2007 avait ciblé moins d'un million de familles nécessiteuses. Mais aujourd'hui, ce n'est pas tant le nombre de nécessiteux qui pose problème, mais le moyen de leur faire parvenir ces aides, car le traditionnel couffin est de plus en plus contesté, non seulement pour son côté humiliant pour les couches qui en bénéficient que pour les dépassements qui ont prévalu dans sa gestion. Et d'ailleurs, le ministère de la Solidarité nationale a donné cette année, instruction aux walis pour chapeauter cette opération. Lyes Guemgani, président de l'APC de Dar El Beida, nous explique que les bénéficiaires sont retenus sur la base de «la révision de la liste de l'année précédente», tout en prenant en considération «les nouvelles inscriptions». La commission sociale «siège pour le traitement des dossiers au fur et à mesure». Une enquête effectuée «au niveau des familles» permet de juger de l'éligibilité à l'aide octroyée aux nécessiteux sur la base de «la situation sociale, du niveau des revenus». Mais il y a des catégories de citoyens qui sont bénéficiaires d'office, à savoir «ceux inscrits au filet social, les handicapés, les personnes âgées et sans revenu». Une fois écartés ceux qui n'ouvrent pas droit, la liste approuvée par le conseil communal est ensuite soumise à «la wilaya pour approbation». Le couffin honni De nombreuses communes ont choisi de substituer au traditionnel couffin, l'octroi d'aides directes sous forme d'argent envoyé par virement ou mandat. Pour le président de l'APC d'Hussein Dey, Mohamed Sedrati, «le couffin c'est pesant. On manipule des denrées alimentaires», avec tout ce que cela entraîne comme tracas. Pour lui, il est plus judicieux de «donner de l'argent et c'est aux bénéficiaires de le dépenser comme ils veulent». A Dar El Beida, on ne donne pas de couffin non plus, car «il s'agit de préserver la dignité du citoyen, d'éviter les chaînes interminables et que les familles soient fichées», précise M. Guemgani. Par ailleurs, ce n'est pas évident de «gérer le couffin du Ramadhan car il y aura des fuites, de la spéculation autour de produits périmés ou insuffisants…». Hadj Tahar Boulenouar, porte-parole de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), affirme que l'expérience des années précédentes a montré qu'il y a des cas où des commerçants ont fait don de «produits périmés pour le couffin du Ramadhan, au lieu de s'en débarrasser». D'autres ont profité de l'occasion pour faire du business avec certains responsables d'APC en «surfacturant» les produits fournis et en «partageant la différence». En période électorale, le couffin du Ramadhan a été «un moyen de marchander pour obtenir les voix des citoyens». En outre, il souligne que «la plupart des APC ne possèdent pas d'espace de stockage pour préserver les denrées alimentaires de la chaleur». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, l'UGCAA a proposé d'octroyer des enveloppes directement aux familles nécessiteuses. Le gouvernement, qui a souvent avancé l'idée de distribuer des chèques au lieu du couffin, donne aujourd'hui toute latitude aux maires pour décider du mode de distribution. Certaines communes n'ayant pas les moyens financiers nécessaires, les montants distribués restent minimes au vu de l'inflation. Selon les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, seulement 36 communes sur 1541 sont considérées comme «riches» avec des ressources de plus d'un milliard de dinars annuellement. Ainsi, à l'APC d'Alger-centre, le président a récemment indiqué que «1200 familles nécessiteuses vont bénéficier d'un mandat d'une valeur de 5000 DA». Dans la commune d'Hussein Dey, M. Sedrati indique que «1300 familles vont bénéficier d'un mandat d'une valeur de 8000 dinars, contre 5000 dinars en 2012». «Nous avons ciblé même des gens qui ont des pensions de 10 000 dinars.» Les moyens financiers font défaut, mais en contrepartie, la commune a mis à la disposition des bienfaiteurs trois cantines scolaires pour prendre en charge la restauration des nécessiteux. Dans la commune de Dar El Beida, qui est parmi les plus riches de la capitale (4,5 milliards de dinars de ressources annuelles), l'effort financier est légèrement plus important. Au total, «2767 familles vont bénéficier, en deux phases, d'une aide de 10 000 dinars (8500 DA en 2012), soit par virement pour ceux qui disposent d'un compte, soit par mandat». La commune a décidé de relever le montant compte tenu de l'inflation, mais M. Guemgani reconnaît que cela «n'est qu'une aide et ce n'est pas avec une telle somme qu'on couvrira les charges d'une famille algérienne pendant le Ramadhan». Indus bénéficiaires Quel que soit le montant des aides distribuées, la prise en charge des couches les plus démunies restera peu efficace, selon certains économistes, en l'absence d'un mécanisme ciblé et pérenne qui toucherait ces catégories sociales, en dehors de la période du mois sacré, comme «des pensions versées directement» en lieu et place des subventions généralisées. Le couffin restera une action ponctuelle aux effets limités sur les bénéficiaires, mais bénéfiques pour les opportunistes. «Quand je vois la demande pour le couffin du Ramadhan, je me pose mille questions, parce qu'il y en a qui sont malhonnêtes et qui déposent des dossiers alors qu'ils n'ont rien du nécessiteux ou du démuni», explique M. Guemgani. «Nous avons éliminé un peu plus de 300 personnes de la liste, soit pour dossier incomplet parce que le citoyen ne justifie pas son revenu, soit pour cause de situation sociale confortable révélée par l'enquête à domicile», révèle-t-il. Toutefois, il y a également d'anciens bénéficiaires qui «se sont déplacés à l'APC pour demander à être retirés de la liste parce que leur situation sociale s'est améliorée».