Vu de loin et de prime abord, l'immeuble force le respect. Plus près, on se rend compte qu'il ne s'agit pas d'un seul mais de trois immeubles. « Trois comme le nombre des grandes pyramides dont il porte le nom. C'est ainsi que l'a voulu Ibrahim Nafaâ, son ancien PDG », nous explique Shirine Abdelazim, journaliste et chef de rubrique au sein de la vénérable institution. Le Caire (Egypte) : De notre envoyé spécial Nous sommes au sein du mythique journal Al Ahram, le plus grand tirage du Moyen-Orient. Dans le hall d'entrée où l'on nous fait attendre qu'un responsable du journal nous prenne en charge, les portraits en bronze des 17 directeurs qui se sont succédé à la tête de cette institution respectée et respectable sont alignés sur le mur. Un seul des immeubles que nous avons évoqués pourrait contenir l'ensemble des titres domiciliés à la maison de la presse Tahar Djaout et plus encore. Après quelques minutes d'attente, Sayed Badaoui, journaliste de la rubrique sportive, nous reçoit avec beaucoup de chaleur et la discussion, sans plus attendre, s'engage sur le match de samedi avec force boutades et plaisanteries. Notre homme a déjà visité l'Algérie et rencontré des confrères et personnalités sportives dont il a gardé un bon souvenir, comme Lakhdar Belloumi, l'ancien meneur de jeu des Verts. Après un thé rouge et brûlant dans l'une des cafétérias du journal, notre guide nous présente le chef de la rubrique sports, Captain Hassan, un ancien champion du monde d'haltérophilie. Bâti sur plusieurs étages, le siège du journal est un véritable dédale de couloirs, de bureaux et de salles de rédaction spacieuses où il est aisé pour un étranger de se perdre. Le groupe de presse Al Ahram compte plus de 1200 journalistes pour d'innombrables éditions locales et internationales centrées sur l'économie, le sport, la politique, les loisirs et la culture, plus, bien entendu, une maison d'édition, un centre d'études politiques et géostratégiques et des magazines, des périodiques ou des hebdomadaires s'adressant à des lectorats bien ciblés. Le journal paraît en arabe, en anglais et en français. Autant dire un géant de la presse mondiale. Il y a beaucoup de chaleur et de spontanéité dans l'accueil des journalistes visiblement enchantés d'échanger quelques propos avec un confrère algérien en ces heures où l'Algérie et l'Egypte retiennent leur souffle dans l'attente d'une confrontation qui a dépassé et de loin le cadre sportif. Liens historiques et culturels La conversation tourne autour du match et de la guéguerre médiatique à laquelle il a donné lieu. Nous évoquons, cela va de soi, les liens culturels et historiques que nos pays respectifs ont tissés depuis la nuit des temps. « Quand je suis venu en Algérie, il y a quelques années, je me suis tout de suite senti chez moi, comme dans mon pays. Nous avons beaucoup de liens et de traditions en commun », affirme d'emblée Sayed Badaoui. « Le sport doit être un facteur d'amitié entre les peuples et ce qui se passe actuellement entre l'Egypte et l'Algérie est conjoncturel, car il y a une minorité de part et d'autre qui essaie de transformer ce match en bataille de guerre », affirme, pour sa part, Mahmoud Sabri, rédacteur en chef adjoint. « Ce qui se passe actuellement, ce n'est qu'une exploitation éhontée d'un événement sportif par quelques journaux et quelques chaînes satellitaires qui veulent en tirer un profit mercantile. Les mass media se doivent d'être à la hauteur de l'histoire entre les deux pays et non à la hauteur d'un événement sportif conjoncturel », affirme un reporter. Chaque journaliste rencontré tient à nous offrir le verre de l'amitié. Au risque de passer pour un malotru, il ne convient surtout pas de dire que vous avez déjà pris un thé tellement corsé qu'il vous a assommé à moitié. Tout le monde convient donc de remettre dans son contexte ce satané match de foot entre deux pays qui ont des relations fraternelles, politiques, économiques, historiques et familiales, mais que des corsaires tapis dans certaines rédactions ont perverti en exacerbant les tensions dans un but assez vil et mercantile. Votre serviteur constate également que, comme chez l'homme de la rue, nos confrères éprouvent beaucoup de ressentiment contre un quotidien algérien, que nous ne nommerons pas par décence, qui s'est distingué par un traitement jugé, par eux, blessant et outrageant de ces joutes sportives du 14 novembre. « Da match zift ! », lâche Mahmoud Sabri pour dire combien il a fait naître de rancœurs de part et d'autre et à quel point il est en train de pourrir les relations entre les deux pays. Il est vrai que, loin, très loin, des publications qui ont contribué généreusement à jeter de l'huile sur le feu, Al Ahram s'est distingué par un traitement très objectif de tout ce qui gravite autour du match du 14. De par sa rigueur, son professionnalisme et le poids de son histoire, Al Ahram est pour le Moyen-Orient ce que le Monde est à la France : une véritable et vénérable institution. Tous ceux que nous rencontrons tiennent absolument à échanger quelques propos avec nous sur le match bien sûr et cela aussitôt qu'ils apprennent qu'ils ont affaire à un confrère algérien. Les propos sont avenants, les plaisanteries de mise, mais les reproches ne sont jamais loin. Le fait que la Fifa ait décidé d'envoyer ses observateurs en Egypte a également souverainement déplu à tous. Il a été vécu comme un affront pour un pays connu pour ses traditions d'hospitalité et de respect envers ses hôtes quels qu'ils soient. Nous nous quittons sur les traditionnelles plaisanteries auxquelles donnent inévitablement lieu le score et les pronostics des uns et des autres. Un petit tour à Al Ahram Hebdo, une publication du groupe qui paraît en langue française et qui est domiciliée dans un autre immeuble. La rédaction est pratiquement vide ce mercredi matin et pour cause le journal vient juste d'atterrir dans les kiosques. La une est, bien entendu, consacrée à l'événement de samedi. Le journal y consacre ses pages centrales et évoque « les initiatives prises de part et d'autre pour calmer les esprits ». Il parle d'un « événement sportif » qui « incarne un vrai phénomène de société ». Sous la plume d'Amina Doss, Al Ahram Hebdo parle également des supporters des deux pays qui rêvent de voir leurs équipes respectives gagner et conclut : « Un rêve légitime, en espérant qu'il ne nous coûtera pas trop cher. » C'est Shirine Abdelazim, journaliste et chef de la rubrique Hebdorama, qui nous fait faire le tour de la rédaction et les présentations d'usage. Elle nous explique également les différentes rubriques de ce journal de 36 pages qui emploie 85 journalistes. Tous les journalistes disposent d'un micro-ordinateur et leurs articles arrivent directement, par Intranet, au desk avant d'être envoyés à la salle de montage. « Nous n'utilisons plus de papier dans ce journal depuis 1994 », affirme Shirine. S'adressant en priorité à un lectorat étranger, Al Ahram Hebdo traite de tous les sujets de société et d'actualité en essayant de réaliser un bon équilibre entre les points de vue du pouvoir et ceux de l'opposition. « Nous avons cinq Algériens qui travaillent actuellement avec nous », dit Shirine comme un dernier clin d'œil à ces liens que les deux pays ont tissés.