Hier, Ennahdha a lancé un appel pour une marche demain soir à Tunis, pour protester contre la violence, la formation d'un gouvernement d'union nationale et pour le respect de la légitimité du gouvernement de Ali Laârayedh. En Tunisie comme en Egypte, la situation est particulièrement tendue pour les islamistes, qui cristallisent la colère populaire. Les critiques sont tant sécuritaires que sociales, économiques et politiques. Pour Bakary Sambe, coordinateur de l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, derrière le slogan «L'islamisme est la solution», Ennahdha comme les Frères musulmans ont proposé «des solutions simples à des problèmes compliqués». Mais aucun d'entre eux n'a su trouver de remède. Doléances La situation économique est catastrophique. Ainsi, en Egypte, les rentrées en devises ont été divisées par trois depuis Moubarak, les pénuries sévissent, amenant même certains Egyptiens à parler de «somalisation du pays». En Tunisie, le chômage a atteint 12%, soit 4 points de plus que sous Ben Ali. Les islamistes au pouvoir ne sont pas parvenus surtout à rassurer ceux qui assuraient la puissance de leurs économies ; les investissements sont rapatriés après les troubles politiques et face à un discours populiste désapprobateur de l'économie moderne, tandis que les touristes fuient, effrayés par les violences et l'islamisme lui-même, qu'ils associent à une restriction de leurs libertés sur leurs lieux de vacances. Par ailleurs, alors que les islamistes avaient fait de la justice le fer de lance de leur discours, selon Jamel Mselem, militant et avocat de la Ligue des droits de l'homme tunisienne, ils ont eu une gestion identitaire et non méritocratique de la société et plaçant des islamistes aux postes stratégiques, à l'encontre de toute justice sociale. Mais l'aspect sécuritaire est la tache la plus sombre au bilan des islamistes. Manifestations meurtrières en Egypte comme en Tunisie, assassinat d'opposants politiques en Tunisie : le climat est à l'insécurité et au terrorisme, alertant tant les populations locales que la communauté internationale. Hasni Abidi, politologue et spécialiste du monde arabe, estime que les Frères musulmans sont coupables d'avoir «bâclé» la Constitution, «précipité» les élections et «snobé» les négociations avec les partis minoritaires, qui disposent pourtant d'un réel écho au sein de la population et de l'administration. En novembre 2012, Mohamed Morsi étend ses prérogatives et les place au-dessus de tout contrôle judiciaire. Il fera marche arrière, mais les Frères musulmans ont montré leurs limites et ont effrayé le peuple qui ne veut pas qu'on lui confisque sa révolution. En Tunisie, Ennahdha a conservé un discours identitaire, celui d'un parti d'opposition, ce qui n'a pas non plus facilité le dialogue avec les partis minoritaires. La loi de protection de la révolution a exclu tous les anciens membres du régime de Ben Ali, qu'ils soient légitimes ou pas. Enfin, l'Assemblée nationale constituante a pris du retard dans la rédaction de la Constitution, faisant soupçonner que les islamistes voulaient prolonger leur accès au pouvoir. Alternatives Ceux qui manifestent contre eux aujourd'hui considèrent que les islamistes ont échoué. Mais si les islamistes venaient à être définitivement évincés du pouvoir, quels scénarios politiques seraient envisageables ? Pour Barah Mikail, membre de l'Assemblée des citoyens et citoyennes de la Méditerranée, le transfert du vote islamiste vers les forces «libérales et progressives» n'est pas si évident. «On oublie trop souvent qu'une exclusion durable des Frères musulmans du champ politique égyptien peut aussi donner lieu à un report de vote sur les salafistes». Par ailleurs, l'histoire égyptienne souligne le danger à exclure et opprimer les Frères musulmans. C'est en effet du conflit de 1952-1954 que sont nés les djihadistes, et la radicalisation d'une frange des Frères musulmans doit être envisagée, s'ils venaient à être définitivement exclus du pouvoir. Le report de vote sur les salafistes semble moins plausible en Tunisie, où ils demeurent minoritaires et limités par la tradition laïque du pays, mais une radicalisation de certains membres d'Ennahdha n'est pas non plus exclue. Légitimité Tout d'abord, selon Hasni Abidi, les islamistes ont avec eux la légitimité démocratique et constitutionnelle, qui ne peut être annulée par la légitimité révolutionnaire qui s'exprime lors des manifestations de masse anti-Ennahdha ou anti-Morsi, et encore moins par la destitution par l'armée d'un président démocratiquement élu. La destitution de Mohamed Morsi par l'armée est d'autant plus problématique que celle-ci a ensuite pris parti, au lieu de se poser comme seul acteur de maintien de l'ordre. Par ailleurs, pour Barah Mikail, «il serait erroné de parler d'une érosion de la popularité des islamistes», et seules des élections permettraient d'évaluer leur popularité aujourd'hui. En Tunisie, le président Marzouki, qui a toujours plaidé pour un compromis avec les islamistes, reste convaincu que des accords peuvent être trouvés avec Ennahdha. En Egypte, la peur de l'islamisation est moins présente qu'en Tunisie, et l'opposition à Morsi renvoie plus à ses déboires avec le pouvoir et à une situation socio-économique critique.