Chargé de cours à l'Institut européen de l'université de Genève, auteur de Où va le Monde arabe ?, Hasni Abidi voit, dans la destitution de l'ancien président Morsi, un «coup d'Etat». Il avait prévu «le scénario algérien» au lendemain de la victoire du représentant des Frères musulmans. - Comment peut-on qualifier la destitution du président égyptien ? Coup d'Etat, redressement démocratique... ?
Du point de vue juridique et politique, il s'agit d'un coup d'Etat quand le pouvoir en place, en l'occurrence issu des urnes, est déposé et lorsqu'on annule et suspend une Constitution. L'armée égyptienne, à l'instar des armées arabes, tient scrupuleusement au formalisme dans son coup de force. Elle a pris toutes les précautions pour assurer habilement un habillage acceptable. La mobilisation de la rue, le 30 juin, et les consultations tous azimuts ont facilité leur action. Bref, c'est un coup d'Etat pour renvoyer tout le monde à la case départ.
- Comment l'Egypte en est-elle arrivée là ?
D'abord l'ambiguïté entre le parti islamiste Liberté et justice et les Frères musulmans. Cette confrérie, toujours interdite officiellement, secrète sur son fonctionnement, gouverne de facto la vie politique. L'incapacité de Morsi à s'affranchir de la confrérie et de son parti l'a rendu aveugle et sourd. Pire, un homme coupé de la réalité. Une réalité devenue explosive. Etranglé par les soucis de la vie quotidienne, le peuple a trouvé dans Morsi et les Frères musulmans le bouc émissaire idéal pour exprimer son ras-le-bol. L'armée, mécontente de la gestion chaotique de Morsi et inquiète d'un risque de révolte populaire, a préféré «crever l'abcès» que de jouer la carte du pourrissement. En Egypte, il est illusoire de gouverner sans le soutien des institutions du pays, même si elles sont archaïques. L'ex-président Morsi a réussi les mettre, tous unis, contre lui, pour s'engouffrer dans une tentation autoritaire. La volonté affichée de sa tutelle de s'exporter a brusqué les monarchies du Golfe, hormis Doha. Sa chute était programmée.
- On ne peut pas s'empêcher de penser à l'expérience algérienne de 1992. Est-ce le même scénario ?
J'avais déjà mentionné, au lendemain de la victoire de Morsi, que l'armée égyptienne était sur les pas de l'armée algérienne. Les militaire égyptiens étaient devant deux options : celle de l'armée turque – rester républicaine et obliger les islamistes à faire des concessions – ou l'option algérienne : intervenir et stopper tout. Finalement, l'armée égyptienne a préféré la moins coûteuse, l'option algérienne, avec une mise à jour. Laisser Morsi au pouvoir le temps d'accumuler des erreurs. Rendre le coup d'Etat nécessaire et utile à la démocratie, ce fut l'argument du mouvement Tamarod. Dans le cas algérien, on a arrêté la démocratie pour «sauver le pays» ; en Egypte, c'est pour redresser le processus de transition.
- Quelle pourrait être la suite des événements, selon vous ?
La gestion de la période de transition déterminera la suite. En cas d'intégration des islamistes, on peut éviter une radicalisation de la scène politique. Il serait suicidaire pour les partisans de Morsi de bouder l'offre de participation. En 80 ans d'existence, seules les élections ont permis aux islamistes de gouverner.