Surpris par l'ampleur du ras-le-bol des Soudanais et craignant pour son pouvoir déjà vacillant, le président Omar El Béchir a décidé de changer son fusil d'épaule et jouer la carte de l'apaisement, plutôt que celle de la répression à outrance. Il a ainsi appelé hier la police à s'abstenir de recourir à une force excessive contre les manifestants, à la suite des protestations contre la vie chère qui ont secoué plusieurs villes du Soudan ces derniers jours. Lors d'une rencontre avec de hauts responsables de la police à Khartoum, Omar El Béchir, habillé en uniforme de la police bleu, a déclaré : «Nous voulons maintenir la sécurité et nous voulons que la police le fasse en utilisant moins la force.» Le 19 décembre, des protestations provoquées par la hausse du prix du pain ont éclaté dans plusieurs régions soudanaises et se sont étendues à la capitale Khartoum les jours suivants. Dans certaines villes, les protestataires ont réclamé aussi «la chute du régime» de M. El Béchir, au pouvoir depuis 1989. Il s'en est alors suivi une terrible répression. Au moins 19 personnes, dont deux membres des forces de sécurité, ont été tuées, selon un bilan officiel. La plupart des manifestants ont été victimes d'«incidents liés au pillage», selon le gouvernement. Néanmoins, l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International a fait état de 37 morts. Plusieurs membres des formations de l'opposition ont été arrêtés en marge des protestations. La contestation se concentre autour du prix du pain, passé mi-décembre d'une livre soudanaise (1 centime d'euro) à trois alors que le Soudan connaît un marasme économique aggravant les conditions de vie de la population. Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, le pays a vu l'inflation s'établir à près de 70% annuellement, tandis que la livre soudanaise plonge face au dollar. Des pénuries de pain et de carburants touchent plusieurs villes. «Nous reconnaissons que nous avons des problèmes économiques, mais ils ne peuvent pas être résolus par des destructions, des pillages et des vols», a dit le président soudanais, en référence à des bâtiments et des bureaux de son parti incendiés par les manifestants. «Nous ne voulons pas que notre pays finisse comme d'autres pays de la région. Nous ne permettrons pas que nos citoyens deviennent des réfugiés», a ajouté M. El Béchir en allusion aux révoltes dans plusieurs pays arabes, qui ont provoqué parfois des guerres ces dernières années. Vendredi, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a demandé aux autorités soudanaises de «mener une enquête approfondie sur les morts et la violence» et souligné «la nécessité de garantir la liberté d'expression et de rassemblement pacifique». Les manifestations ont cessé depuis vendredi, mais des militants et des groupes de l'opposition ont appelé à de nouvelles protestations pour aujourd'hui.