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La trilogie de l'acquiescement inconditionnel
Publié dans El Watan le 12 - 08 - 2013

Sans aucun égard ni pour l'opinion ni pour la volonté d'un peuple censé être la source de tout pouvoir et seul détenteur de la souveraineté nationale, un peuple qui a, hélas, toujours été dépouillé de ces attributs majeurs , un peuple jugé trop immature pour qu'on puisse imprudemment lui laisser entre les mains ces outils si précieux, si dangereux. L'histoire commencera ainsi par l'intrusion d'une poignée de baroudeurs dans la construction d'un Etat. La confiscation du droit et une légitimité, que tout le monde sait illusoire, ne laisseront, comme toujours, aucune alternative, hormis l'autoritarisme, la répression et la propagande qui va avec.
C'est le début de la trilogie de «l'acquiescement inconditionnel». La mécanique de la servitude volontaire est mise en branle. Le pays passe de la plus hard à la plus soft des techniques d'équarrissage. On ne tardera pas à déployer l'arsenal classique qui ponctuera le destin tragi-comique de cette terre par des pratiques très en vogue sous d'autres cieux : ce sera la fastueuse époque de l'assassinat, de l'assignation à résidence, de l'emprisonnement, du bannissement, de la surveillance, des enlèvements et arrestations arbitraires, ainsi que des intimidations en tous genres. Tout le monde ignore ce qu'un autre scénario aurait pu produire dans ce pays néanmoins, partout dans le Monde arabe, on pleure aujourd'hui ces dictateurs qui on su installer un peu d'ordre dans des espaces géographiques et ethniques, au sein desquels l'histoire n'avait pas eu assez de temps ou assez de force pour semer dans les mentalités l'esprit de la république, ainsi que celui de l'Etat et du peuple qui vont avec. République, Démocratie !
Des mirages qui ne cessent de nous glisser entre les mains chaque fois que nous essayons de prouver à nous-mêmes que nous pouvons berner aussi facilement la fatalité, avec des émeutes par-ci, des changements de régimes qui ne durent qu'un soir, des pouvoirs qui s'éclipsent par une porte et reviennent par la fenêtre, des refontes constitutionnelles de pacotille, ainsi que des guerres civiles dignes du Moyen-âge. Le croupier s'amuse à nous servir inlassablement les mêmes cartes : celle d'un islamisme qui n'a jamais cessé de se mordre la queue, si bien que ce sont toujours les chars qui lui emboîteront le pas, ou celle d'une dictature assez sournoise pour être combattue démocratiquement, si bien qu'il a toujours fallu puiser en Dieu la force et le droit nécessaires pour décapiter le tyran. Nous avons pris coutume de nous offusquer face au règne interminable de ces despotes qui ne consentent à rendre l'âme et le trône qu'au prix de tant de rebuffades. Nous avons tant de fois été fascinés par ce consentement des masses à leur propre «servitude volontaire» outrageante.
Une soumission qui semble, a priori, défier toutes les lois de la raison, mais dont l'unique raison reste quand même cette foi indicible en des lendemains porteurs d'une délivrance miraculeuse, l'espoir qu'un homme providentiel, ou je ne sais quel sort plus clément, viennent mettre un terme à un joug qu'aucun esprit épris de dignité ne pourra tolérer indéfiniment. Plus grande sera la tragédie, mais plus fort et plus affermi sera l'espoir, sans quoi l'espèce humaine se serait étiolée et aurait disparu depuis longtemps. Qui sommes-nous en fin de compte ? Sinon un bouillon effervescent de passions et de craintes à la merci d'une conscience vacillante qui se débat frénétiquement pour réguler un chaos dont elle est elle-même l'otage.
Depuis la nuit des temps, la meute, la horde, le groupe, le clan ne doivent leur survie qu'à la présence d'un chef que la nature fait immerger au sein de l'éparpillement et de la discorde. Telles sont les lois dissimulées de l'évolution des espèces. La vie est une succession de dols multiples, avec le bon Dieu, avec le diable, avec les écrasantes pulsions de son «moi» chétif et rabougri. La vie est faite de renoncements et de consentements. «L'homme est né libre et partout il est dans les fers», disait Rousseau. Avoir mis à terre les empires coloniaux n'était pas l'ultime bataille, l'asservissement perdure sous le joug de faciès plus familiers. Habités et hantés par la même mégalomanie de nos oppresseurs, nous avons ployé et fléchi les genoux, mis l'Etat en danger de mort et abâtardi les masses. Nous avons mis à jour des formes de pronunciamientos inédits.
Depuis plus de cinquante années, le peuple n'a jamais élu qui que ce soit. Il n'a fait que plébisciter les décrets quasi divins de nos faiseurs d'histoire(s), en festoyant, dans la débilité la plus déconcertante, l'interminable saga des seigneurs de guerre, ces hommes de l'ombre qui excellent dans l'art de monter des puzzles politiques avec du rebus, du malléable et des pièces de rechange bon marché qui permettent de faire fonctionner cet Etat-Nation, en créant un semblant de pax arabica entre des charognards, qui, à défaut de mettre leur vie et leur fortune au service de leurs constantes nationales, s'étripent pour subtiliser un morceau de la rente. Préserver les équilibres régionaux, satisfaire les appétits, les convoitises et les espérances de toutes les sensibilités disparates. Voilà ce que nous fûmes. Nos destins ont été meublés, mystifiés et légitimés par ces urgences permanentes.
Contrairement aux visions lugubres, mais lucides, de notre cher Machiavel, Rousseau, plus optimiste de par son penchant fort prononcé pour ses rêveries de promeneur solitaire, se plaisait à imaginer un monde où il était possible «d'allier toujours ce que le droit permet avec ce que l'intérêt prescrit, afin que la justice et l'utilité ne se trouvent point divisées». On peut dire que notre cher philosophe pouvait imaginer ce qui lui passait par la tête dans ses moments de transe, néanmoins la nature fera le contraire en agissant de sorte que l'utilité règne en maître pendant que le droit et sa justice déambulent enguenillés et faméliques. Comment pourrait-on penser un seul instant qu'un peuple qui accepte si facilement de corrompre ou de se laisser corrompre puisse être digne de confiance, un peuple qui ne s'est jamais soucié de quérir sa citoyenneté et de prendre conscience de ce que la condition d'homme libre exige comme lucidité, dignité et séditions permanentes.
Les idéologies totalitaires n'étaient pas aussi complexes. Intégrales, classiques, elles n'avaient rien de surprenant, car elles produisaient non seulement les mêmes effets, mais laisser supposer aussi que l'on avait cet espoir de mettre à bas ces systèmes, si l'on arrivait à éliminer les causes, c'est-à-dire les tyrans. Le tyran aujourd'hui est la victime elle même, le sujet, celui sur qui semblait s'exercer la tyrannie et qui a enfin réussi à la subvertir à son profit, tel ce virus qui finit par muter en utilisant le potentiel de ce qui était supposé l'anéantir ou le rendre inopérant. Tout ce monde, qui était censé être le peuple, trouvera le moyen de tout accaparer de ce qui serait susceptible à ses yeux de constituer une parcelle de pouvoir, une miette d'un acquis quelconque, un semblant de puissance.
La nature ne produit plus de tyrans, hormis ces courtisans et ces foules qui s'amusent à mettre sur le trône celui qui paraît convenir le mieux à leurs mesquineries, quitte à choisir des séniles valétudinaires «faire-valoir», ce à quoi s'affairent chez nous actuellement beaucoup de prédateurs besogneux à la veille d'un quatrième mandat indubitablement hypothétique, voire impossible. Tel sera le maudit héritage que laisseront derrière eux les premiers baroudeurs qui prirent d'assaut l'Etat, au lendemain de l'indépendance. Ce que La Boétie avait qualifié comme étant «l'argument de la chaîne des gains » : «Quatre ou cinq hommes conseillant le tyran parviennent à le corrompre et orientent ses actions vers toujours plus de profit qu'ils partagent avec lui. Ils ont sous leurs ordres 500 à 600 autres hommes qu'ils corrompent de même, afin de gagner leur loyauté, et ces derniers en font autant avec d'autres, et ainsi de suite jusqu'à l'échelon le plus bas de la société.»
Nous sommes passés donc de la dictature (pure et dure ou éclairée) à la démocratisation exponentielle de la corruption, pour aboutir finalement au dernier stade de l'acquiescement inconditionnel, celui où tout le monde acquiesce tout et n'importe quoi afin que chacun puisse survivre et prospérer. Une période où l'Etat tout comme le peuple n'assument plus leurs missions respectives traditionnelles. Une période où c'est désormais la rente qui distribue les rôles et institue les normes. Une période d'absolue absolution où l'on a commencé par tourner la page sur les crimes les plus abominables perpétrés pendant dix longues années. Nous prîmes goût, par la suite, à ce jeu malsain et incompréhensible qui consistait à tourner les pages, celle d'une corruption généralisée qui gangrénera le pays pour assez longtemps.
Voilà venu le règne de la rédemption et de la prodigalité. On s'empressera à satisfaire toutes les doléances, en passant du logement social (pour éviter les crises sociales qui constituent un terreau de choix à toutes les velléités de déstabilisation du pays), jusqu'à la distribution, avec prodigalité, des prêts et des subventions sans accorder trop d'importance ni à la fiabilité des projets ni à la garantie du recouvrement des créances. Tout sera bradé, à commencer par l'Etat. Lors d'une conférence-débat, organisée récemment à Alger par le RAJ et la Fondation Friedrich Ebert et portant sur le thème des «Transitions démocratiques au Maghreb et au Machrek », l'historien, Daho Djerbal a évoqué avec clarté cette phase paroxystique et ultime d'une gestion politique catastrophique dépourvue de toute morale, une nouvelle ère caractérisée par «l'interaction entre la corruption, la rente de monopole et la constitution de réseaux clientélistes, tant à l'échelle interne qu'externe…le transfert massif de la propriété publique vers la propriété privée… la naissance d'oligarchies qui finiront par entraîner l'effondrement de l'Etat, menacer la souveraineté politique intérieure et extérieure».
Bref, selon le conférencier, l'avenir du pays se jouera ailleurs et autrement que par le bais des usages politiques ordinaires et transparents. En somme, ni le peuple ni l'Etat n'auront plus aucun pouvoir. L'Etat et le pays en entier seront privatisés. Il faut dire que cela a commencé il y a déjà bien longtemps, depuis que l'Algérie occupe une place inamovible parmi les pays les plus corrompus au monde. Pointé du doigt, cloué au pilori, le pays tentera pitoyablement et vainement de se faire valoir par des conventions internationales et des lois, d'aligner les offices, d'afficher toutes les bonnes volontés. Pendant qu'il reste encore quelque chose de cet Etat et de ce peuple, Farouk Ksentini, président du CNCPPDH, tentera quand même de proposer vaillamment que l'on criminalise la corruption, c'est à dire de la mettre au moins sur le même piédestal que le vol d'un téléphone portable. C'est un peu tard, la tyrannie a détruit la moindre parcelle de résistance qui restait.
La prophétie de La Boétie se réalise de manière splendide : «En somme, par les gains et parts de gains que l'on fait avec les tyrans, on arrive à ce point qu'enfin il se trouve presque un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable, que de ceux auxquels la liberté serait utile». Sur les traces du philosophe Kant, Hannah Arendt a énormément enrichi nos perceptions philosophiques et psychologiques sur cet aspect fondamental et intemporel qui donne du sens et de la valeur à notre vie, à savoir : l'exercice de notre jugement, et particulièrement lorsque celui-ci doit s'effectuer pour débusquer, comprendre et combattre le mal avec tous les moyens dont nous disposons.
Dans ses réflexions sur La banalité du Mal, elle brossera le profil de celui en qui se niche le monstre, une personnalité somme toute banale comme vous et moi, comme tous ceux qui ont dépecé le pays et qui mènent une vie paisible, ordinaire, avec une famille, des enfants, un être aimant et aimé, ayant une conscience et probablement des convictions religieuses. C'est justement la personnalité de cet homme si commun et capable de tant d'aberrations qui devait, selon la philosophe, éveiller nos soupçons quant à cette terrifiante «possibilité de l'inhumain en chacun de nous». Même si les réflexions de Hannah Arendt se cristallisaient entièrement autour de ces régimes totalitaires et, notamment, sur les monstruosités inhumaines et incompréhensibles qu'elles ont pu engendrer, sa pensée consiste à nous mettre en garde contre ces «solutions totalitaires (qui) peuvent fort bien survenir à la chute des régimes totalitaires, sous la forme de tentations fortes qui surgiront chaque fois qu'il semblera impossible de soulager la misère politique, sociale et économique d'une manière qui soit digne de l'homme».
Aujourd'hui, plus que jamais, ces réflexions restent d'actualité et aisément superposables à l'esprit du temps, au climat social et politique qui règne dans notre pays, car si la perpétration des cruautés propres aux régimes totalitaires se légitimaient par cette notion absconse de la soumission aux ordres et du devoir ou de l'idée que l'on se fait du devoir (c'est ce qui en ressortait invariablement lors des procès faits aux criminels nazis), on peut tout aussi bien affirmer que pour les Algériens, avoir brillamment réussi à instituer, à tous les échelons, la rapine et la déliquescence des mœurs comme style de vie et norme nationale, participe de la même logique : celle de la nécessité de la prédation dans un système où n'existe plus de repères moraux, politiques, juridiques ou religieux (sérieusement intériorisés).
Pour Hannah Arendt, l'acte de juger constitue «une importante activité, sinon la plus importante, en laquelle ce- partager le monde avec autrui- se produit… , c'est l'aptitude à distinguer le bien et le mal, le beau du laid. Voilà ce qui peut, aux rares moments où tout est joué, éviter les catastrophes». Et c'est justement sur ce sujet si sensible et déterminant qu'elle essayera d'aller plus loin que le philosophe Emmanuel Kant lorsqu'il parlait de la «pensée élargie», cette faculté censée induire cette interconnexion mentale entre les hommes. Pour Hannah Arendt, il est impératif que cette faculté soit une force agissante dans le sens où elle doit investir l'espace public qui constitue le seul lieu où cette pensée puisse se déployer et accomplir pleinement son rôle : celui de l'immixtion dans le politique.
«Puisque l'opinion est le pilier de la politique, la revalorisation de l'opinion contribue à rehausser le statut de la politique». Il n'y a pas que les régimes totalitaires qui font de l'abolition de l'espace public une condition sine qua non à la pérennisation de leur pouvoir. Toutes les démocraties arabes ont brillamment réussi cet exploit, celui d'étouffer, de rendre assourdissant, inaudible ou méconnaissable le cri qui monte de ces hauts lieux. Si cet espace n'existe pas, rien ne sera possible. Et l'homme ne pourra pas définitivement sortir «hors de l'état de minorité dont il est lui-même responsable», afin de jouir pleinement de cette liberté, «la plus inoffensive de toutes les libertés», et qui consiste fondamentalement à «faire un usage public de sa raison dans tous les domaines». Et en dépit du fait que nous déployions chaque jour tant d'efforts pitoyables pour essayer de donner à cet «espace» un semblant de vie, une vague et furtive apparence, ce «processus» par lequel s'identifie l'espace public demeure toujours en gestation, inoffensif et sans ce «pouvoir d'assiègement permanent», dont parlera le philosophe Jürgen Habermas.
L'espace public, dira-t-il, est ce processus «au cours duquel le public constitué d'individus faisant usage de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par l'autorité et la transforme en une sphère où la critique s'exerce contre le pouvoir de l'Etat».Aujourd'hui, il nous arrive d'avoir de sérieux doutes quant à cette capacité à user convenablement de sa raison et de son jugement (évoqués tour à tour par Kant, Arendt et Habermas) au sein de la sphère publique, pour en faire, au moyen de la critique et de la publicité, un instrument dirigé contre le pouvoir de l'Etat. Cela aurait pu avoir quelques effets si le pouvoir au sein de l'Etat était aisément identifiable dans sa logique, ses instruments, ses objectifs, et si le changement ne devait s'effectuer que par le biais d'un corps-à-corps que l'on doit mener qu'avec le pouvoir de l'Etat. Il y a en ce moment, chez nous, plusieurs millions de tyrans. Nous étions en juillet 2013, date symbolique pour nous comme pour nos anciens oppresseurs.
Mais cette année-là, c'est chez notre ennemi intime que notre Président aura assisté à la célébration de l'indépendance de notre pays, une indépendance acquise après plus d'un siècle de servitude, sept longues années de guerre, des centaines de milliers de morts…, sans pour cela être enfin capable de produire intra-muros une médecine ou d'autres institutions à la hauteur de nos rêves d'antan. Comme tant de hautes personnalités politiques autrefois éminemment patriotiques, mais qui désormais ont cessé d'être Algériens de sol et d'esprit, notre Président, et qui lui en voudra, choisira, comme nous tous si nous avions eu les moyens, la médecine du colon dans l'espoir que celle-ci puisse accomplir les miracles escomptés. Ce qui aurait fait tordre de rire Bigeard et ses acolytes ainsi que les sicaires de l'OAS. Cette farce du sort qui sera d'ailleurs le lot de la quasi-totalité de nos dirigeants me rappelle étrangement ces paroles de Dieu : «Et personne ne sait ce qu'il acquerra demain, et personne ne sait dans quelle terre il mourra. Certes, Allah est Omniscient et Parfaitement Connaisseur.»
(Sourate Luqman-verset 34). Le palais s'apprête à confectionner un successeur, un gestionnaire de la rente, comme toujours conciliant et fédérateur. On essayera de scruter celui qui aurait le mieux la gueule de l'emploi, du côté de la gérontocratie historique, sénile de préférence et avec des troubles de la mémoire et autres tares dégénératives du cerveau qui le rendront hors d'état de nuire à la horde. Notre diaspora de luxe d'outre-mer, ainsi que tous les revanchards et autres laissés-pour-compte, tout le monde s'affaire (y compris le peuple), noue et dénoue les alliances, combine, complote pour miser sur le bon canasson. Comme toujours, les pronostics sont flous, entre outsiders et favoris.
S'indigner contre le vide constitutionnel, suite à l'école buissonnière que pratique le Président depuis un bon moment, est quelque peu démesuré, alors que c'est la rente qui demeure et constitue l'unique équation dans un pays qui vit au rythme des containers et des concessionnaires. Le roi est mort, vive le pétrole ! Nous pouvons nous livrer à tous ces manèges mesquins de cooptation. Nous pouvons dépoussiérer et restaurer, ameuter et ressusciter ces figures historiques fossilisées. Nous pouvons nous accrocher désespérément à ces reliques familières qui évoquent en nous ces réminiscences soporifiques propres à perpétuer notre docilité. Si ce qui subsiste de ce peuple et de son élite ne se résigne pas à se soustraire de leur isolement désolant, tous nos efforts seront vains. «C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal», Hannah Arendt.


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