Une œuvre universelle restituée en plusieurs langues... Le chef-d'œuvre rédigé en 1549 par le célèbre écrivain et poète humaniste français, Etienne de La Boétie, et intitulé Le Discours de la servitude volontaire, vient d'être traduit en tamazight, en arabe algérien, en arabe classique et en français contemporain. Ce minutieux travail polyglotte est compilé dans un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Bouchène, basées à Paris. «Je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villages, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois tout un tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent. Un tyran qui n'a de pouvoir de leur nuire, qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s'ils n'aimaient mieux le supporter que s'opposer à lui», écrivait Etienne de La Boétie (1530-1563). Ouvrage magistral de portée universelle, Le Discours de la servitude volontaire, connu également sous le titre de Contr'un, a été rédigé par La Boétie alors qu'il avait à peine dix-huit ans ! N'ayant vécu que 32 ans, il avait connu le règne de quatre monarques (François I, Henri II, François II et Charles IX), ce qui lui avait permis d'observer copieusement l'exercice du pouvoir, ses mécanismes de maintien et de succession. Il était par ailleurs l'ami intime de Montaigne qui lui a rendu un sublime hommage à travers le chapitre sur l'amitié de ses Essais. Le Discours de la servitude volontaire a été écrit en 1548 suite à la violente répression d'une révolte antifiscale dans l'ancienne Guyenne, qui correspond actuellement au sud-ouest de la France. Œuvre emblématique du penseur, en dehors de sa production poétique, c'est une profonde analyse rhétorique qui met en lumière un contenu foudroyant qui nous parle très fort de l'époque actuelle. A travers cet ouvrage, La Boétie expliquait comment les hommes renoncent volontairement à leur liberté et choisissent la servitude d'un tyran qui les transforme en complices. Le Discours de La Boétie est d'une incroyable actualité. «Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux», tranchait l'auteur dans son texte qui date de près de cinq siècles est se voit de nouveau traduit en français contemporain, annoté et commenté par Alain Mahé, anthropologue et maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHSS). La traduction en tamazight, plus précisément en kabyle, a été assurée par Ameziane Kezzar et présentée par Mohand Lounaci. Le texte est traduit en arabe algérien par Hakima Berrada, Moustapha Naoui et Abdelhafid Hamdi-Chérif. Enfin, la traduction en arabe classique est assurée par Moustapha Safouan et présentée par Afif Osman. Ce travail d'édition qui se veut critique s'appuie sur une étude comparée de huit traductions en français contemporain publiées entre 1789 et 2008. «Nous savons que nous n'éviterons pas les annexions militantes réductrices qui ont toujours marqué la remise en circulation du texte de La Boétie», avertit l'éditeur qui souligne que «ce le livre est porté par un objectif pédagogique». Ce travail collectif avance une pertinente analyse : «En inventant la philosophie politique moderne, Machiavel postulait l'irréductibilité de deux désirs contraires – le désir des grands de dominer et celui du peuple de ne pas l'être. De la servitude volontaire déplace cette dualité de désirs à l'intérieur même de chaque individu», souligne l'éditeur. Le texte de La Boétie, d'une profondeur extraordinaire, est un réquisitoire contre l'absolutisme. Le texte s'attache surtout à analyser les raisons de la soumission. Cette œuvre fascinante, l'une des plus actuelles de la Renaissance française, montre comment «un tyran assoit son pouvoir : en s'appuyant sur une foule d'oligarques à la botte d'un parrain qui ne nous paraît si grand que parce que nous sommes à genoux». La Boétie ajoute : «Il y a trois sortes de tyrans. Les uns ont le royaume par l'élection du peuple, les autres par la force des armes, les autres par la succession de leur lignage. Ceux qui l'ont acquis par le droit de la guerre s'y comportent comme en pays conquis (...) Si les moyens d'accéder au trône sont divers, la façon de régner est toujours quasi semblable. Les élus traitent leurs sujets comme s'ils étaient des taureaux à dompter, les conquérants comme leurs proies, et les héritiers comme leurs esclaves par nature». Pour le penseur, «l'habitude nous apprend à servir et à avaler sans le trouver amer le venin de la servitude». Et, à partir de son analyse, il recommande : «Et pourtant, ce tyran, seul, il n'est pas besoin de le combattre, il n'est pas besoin de le vaincre. Il s'abat de lui-même pourvu que le pays ne consente pas à la servir. Il ne faut rien lui enlever, mais ne rien lui donner». Au lieu de rester impuissant et résigné, pour La Boétie la solution est simple : «Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres !»