L'aéroport international est en état de siège. En cette matinée de mardi, les accès sont bloqués tant la circulation est dense. Des centaines de voitures, ornées de l'emblème national pour la plupart, font du surplace et attendent, dans la chaleur étouffante, de pouvoir entrer dans le parking. A l'entrée, sur les pelouses qui longent l'autoroute, des dizaines d'individus sont assis ou allongés, se confondant presque avec l'herbe de par la couleur des vêtements de sport qu'ils portent. Campant devant un barrage dressé par les forces antiémeute, ces supporters ne sont pas, comme on aurait pu s'y attendre, à la fête. « Ils nous empêchent de franchir le tunnel pour ne serait-ce que pénétrer dans le parking », explique l'un d'entre eux. « Ils nous disent qu'il n'y a plus de billets pour le stade, que le quota est déjà atteint. Mais qu'ils se les gardent, leurs tickets, nous n'allons pas là-bas pour le match ! Kech ma b'qua match ? Kech ma b'qua sport ? », s'emporte son acolyte. Un autre continue : « Nous leur demandons juste de nous transporter jusqu'à Khartoum. Pour le reste, on peut se débrouiller. Nous y allons juste pour être confrontés aux Egyptiens. » Le ton est donc donné quant à l'état d'esprit des jeunes gens qui veulent être du voyage. « Mais laissez-nous passer pour venger nos frères », hurle-t-il alors à un policier, casque sur la tête et matraque à la main. Les forces de l'ordre semblent à cran. Ce qui est le cas de tout ce beau monde, sur les nerfs, prêt à « démarrer au quart de tour ». « Nous sommes là depuis hier soir. Il y a eu du grabuge et ils ont tout cassé à l'intérieur. Maintenant on interdit l'entrée. Nous sommes sur nos gardes car ils ne sont pas commodes », souffle un policier. Les jeunes gens affluent alors vers le groupe formé par les policiers et les journalistes. L'entourant, ils se mettent à huer et à frapper des mains en sautant sur place. Le chef de la brigade intervient alors. « Ecoutez, ce sont des voyous et ils risquent de profiter de cette occasion pour s'enclencher. Il vaut mieux s'éloigner », les exhorte-t-il, lui aussi visiblement exténué par la situation. Un peu plus loin, sur le parking, c'est une marée humaine verte et blanche qui tente de se frayer un chemin jusqu'aux baies vitrées de l'aéroport. Un peu partout, des groupes discutent et s'énervent. Sur les trottoirs, des hommes sont assis, la tête dans les mains. « Nous avons attendu toute la journée d'hier pour avoir un billet. Ils nous ont pris nos passeports et on a patienté jusqu'à 23h », raconte un père de famille. Et ensuite ? « Ce sont des sauvages qu'il y a à l'intérieur. » Et de continuer : « Ils leur ont demandé de faire une file. Et là, ils ont commencé à se presser devant les portes. Ils ont réussi à s'introduire dans les locaux. » « Après, je ne sais plus vraiment ce qui s'est passé. Je sais que je me suis enfui et que les forces antiémeute les ont fait sortir à coups de bombes lacrymogènes », déplore-t-il. De l'extérieur, on peut constater que des affrontements ont effectivement eu lieu. Les grandes baies vitrées sont fêlées en de nombreux endroits ; des panneaux publicitaires Djezzy ont été détruits. Les policiers qui filtrent l'accès ont sorti l'artillerie de circonstance. Des hommes en tenue rembourrée veillent, bouclier et matraque à la main, bombes lacrymogènes à la ceinture. Dans la file formée de quelques passagers « normaux » et de dizaines de candidats pour Khartoum, le contrôle est rigoureux. Des jeunes supporters, maintenus jusqu'alors à distance, tentent de forcer les barricades. Des éléments des forces de l'ordre accourent et, à coups de matraque,« rétablissent l'ordre ». Dans la cohue, des femmes et des enfants qui poussent des chariots avancent, apeurés. Blême, une dame souffle : « Je n'ai pas à avoir peur, je suis Algérienne. » A l'intérieur de l'aéroport, c'est la pagaille. Déplacés dans ce terminal éloigné et isolé, ils sont des centaines de « verts » à se presser devant le guichet d'Air Algérie débordé et devant le sas d'enregistrement. Personne ne semble connaître les procédures, les points de vente de billets ou s'il y en a encore de disponibles. « Ma parole, c'est de la folie », s'attriste un agent qui a eu à gérer ce flux continu des heures durant. « Hier soir, nous leur avons juste demandé de patienter dehors car il n'y avait plus de cartes d'embarquement. Ils se sont énervés, ils ont forcé les portes. Une fois dans le hall, enragés, ils ont cassé l'escalator, la cafétéria, les enseignes et les rideaux des compagnies étrangères. Ils sont même arrivés jusqu'au ‘système', en haut, qui est pourtant une zone sécurisée. Les casques bleus ont été dépassés », relate-t-il, outré par ces comportements inciviques. La désorganisation et l'anarchie règnent dans l'aéroport bondé. Plusieurs disputes éclatent entre des énergumènes survoltés. L'on en vient même aux mains. Ainsi, un homme « ivre et drogué », diront ses voisins de file, s'en prend violemment à un journaliste présent sur les lieux. Une fois calmé, il crie : « Bien sûr que je suis défoncé… Vous pensez vraiment qu'on va au Soudan sobre ? », sous le regard réprobateur de la foule. A maintes reprises, des troupes antiémeute tenteront de remettre un semblant d'ordre et d'apaiser les frondeurs. En vain. « La situation nous échappe et nous sommes sur les dents », confesse l'un d'entre eux. « C'est le résultat de l'inconscience du gouvernement », affirme quant à lui un jeune cadre, désireux lui aussi d'assister au match d'aujourd'hui. « Ils prennent des décisions populistes sans prévoir les conséquences de ces actes et surtout sans mettre en place une réelle organisation », résume-t-il en prenant place dans la longue file. « Ils donnent des passeports à n'importe qui et promettent des places à tout le monde… les déçus risquent de provoquer des dégâts », prédit-il.