La demande formulée par des élèves du lycée Lotfi a été sérieusement prise en compte par Edmonde Charles-Roux, présidente de l'académie Goncourt qui a séjourné mardi à Oran et dont le parcours littéraire a été présenté au CCF par Antoine Boussin, éditeur. Institué il y a 10 ans à la demande des enseignants d'un lycée de la ville française de Rennes, ce prix n'a pas, au départ, eu l'unanimité au sein de l'académie mais il a fini par devenir très important au point de booster lui aussi les ventes du lauréat. Il y a mieux encore, « L'année dernière, des représentants de l'académie du prix Nobel sont venus en France observer comment travaille ce jeune jury », assure Edmonde Charles-Roux qui précise que rien n'a été décidé encore mais que cet intérêt des Nobel traduit la réputation acquise par cette initiative qui n'était pas aisée à faire accepter au départ vu l'importance de la tâche. En plus du programme, les élèves doivent lire (pas seulement feuilleter) 13 livres pré-sélectionnés. « Il est déjà arrivé que le prix senior et junior coïncident », s'étonne la présidente qui rappelle par la même occasion les Goncourt décernés aux écrivains francophones non français de naissance, à commencer par Amine Malouf en 1993 pour son livre intitulé le Rocher de Tanios et, plus récemment, Atiq Rahimi né à Kaboul pour son roman Syngué sabour. Sa devise est : « Quand on a un ancrage solide, on peut s'ouvrir aux autres ». Elle conseillera par ailleurs aux jeunes présents dans la salle d'apprendre plusieurs langues. Elle-même polyglotte, son regret est de ne pas avoir appris le chinois, le russe et l'arabe. Issue d'une famille bourgeoise traditionnelle de Marseille, Edmonde Charles-Roux, du fait que son père était ambassadeur, a d'abord vécu, depuis l'âge de 4 ans, en Tchécoslovaquie avant de se retrouver en Italie, à Rome précisément, où elle fera ses classes au lycée Chateaubriand qu'elle quittera à la veille du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Elle dit aimer profondément ce pays mais elle garde un mauvais souvenir, un choc terrible en apprenant que celui-ci se rangeait du côté du nazisme à cette époque. Engagée dans la guerre, elle se retrouvait infirmière-ambulancière, ce qui lui a valu des décorations par la suite. Après la guerre, tournant le dos au confort bourgeois traditionnel, elle voulait être journaliste et, le hasard faisant parfois bien les choses, elle rencontre un ancien compagnon qui l'introduira chez Elle, le magazine naissant pour lequel elle travaillera pendant deux ans sous la direction de Françoise Giroud, mais c'est à Vogue, détenu par des capitaux américains, qu'elle fera sa carrière. Le mensuel de 70 pages était « un journal snob » pour la high society dont elle changera le contenu au point de se retrouver dehors 16 ans après son admission au sein de sa rédaction. En prenant la direction, elle commencera d'abord par supprimer 30 pages de mode qu'elle consacrera à la culture, aux spectacles, à la jeunesse et aux « sports nobles » avant de se faire virer lorsqu'elle a refusé de changer une « une » d'un numéro mettant en avant une femme de couleur. « La photographie n'était pas spécialement provocante, elle était chaste et la jeune femme qui s'appelait Louna a d'ailleurs fait une belle carrière dans le cinéma par la suite », se souvient celle qui, en revanche, allait se retrouver au chômage pour avoir dit non à l'injonction des propriétaires du journal pour changer le contenu. C'était les années 60 et heureusement que, dans ses tiroirs, elle avait le manuscrit d'un roman qu'elle publiera chez Grasset qu'elle a préféré au prestigieux Gallimard. Trois mois après la publication de Oublier Palerme, elle sera couronnée en 1966 du prix Goncourt justement. « L'émigration et le chômage n'ont pas d'âge et ce livre est d'une étonnante actualité », fera-t-elle remarquer au sujet de ce livre qui parle d'Italie mais dont l'intrigue se prolonge aux Etats-Unis. Comme pour le premier pays, l'écrivaine a affirmé qu'elle aime profondément les Américains pour avoir entre autres libéré l'Europe et enfanté de grands artistes, mais qu'elle n'arrive également pas à comprendre certaines positions. Commence alors une carrière d'écrivain et de critique littéraire. Sa carrière de journaliste lui a fait découvrir le monde de la culture et des arts. Elle écrira la biographie de Coco Chanel qu'elle a fréquentée pendant six années, mais le livre ne sortira — un choix de l'auteur — qu'après la mort de cette égérie de la mode connue pour avoir contribué à son époque à bouleverser les idées qu'on se faisait de la femme. L'irrégulière qui retrace l'itinéraire de la femme chef d'une immense entreprise répond aussi à la volonté de rétablir la vérité face aux mensonges qu'on a écrits sur elle. Elle adoptera la même démarche au sujet de la mystérieuse mais non moins atypique Isabelle Eberhardt. « Isabelle est un cas unique en tout, une héroïne qui n'a son pareil dans aucun pays que je connaisse », estime-t-elle. Sa fascination est d'autant plus grande que, lors des inondations de Aïn Sefra qui allaient lui coûter la vie, « elle est morte recroquevillée sur son manuscrit sans lequel nous ne parlerons pas d'elle aujourd'hui ». Pour elle, le mérite revient au maréchal Lyautey, à l'époque commandant, qui a ordonné à ce qu'on ramasse toutes les feuilles dans les alentours, de les sécher avant de les envoyer chez un éditeur à Alger. L'ouvrage est sorti deux ans après sa mort. Au sujet des deux films consacrés à cet écrivain-voyageur, fille d'un ministre du tsar exilé en Suisse et qui a embrassé l'Islam et se faisait appeler Mahmoud car elle s'habillait en cavalier, Edmonde Charles-Roux pense qu'aucun d'eux n'est bon. Là aussi, un même désir de rétablir la vérité, de comprendre elle-même puis d'expliquer à ses lecteurs les raisons profondes qui ont poussé cette femme hors du commun à agir de la sorte.