Ainsi, tel qu'édicté dans les amendements apportés à l'ancienne LBA, approuvés par les chambres fédérales en juin dernier, le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS), organe rattaché à l'Office fédéral de la police (Fedpol), sera désormais en mesure d'échanger des informations financières avec ses homologues étrangers : la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF), en Algérie. La LBA révisée permettra, par ailleurs, au MROS d'obtenir davantage d'informations et de disposer de compétences plus larges envers les intermédiaires financiers : les banques, sociétés de transfert de fonds, fiduciaires, gérants de fortunes, conseillers en placement, avocats, courtiers en assurance, entreprises de cartes de crédits, casinos, négociants en devises et en valeurs mobilières. «Le MROS pourra disposer d'un corpus de données plus vaste, ce qui renforcera l'efficacité et la crédibilité de l'ensemble du dispositif suisse de lutte contre le blanchiment d'argent». Mais, fait ressortir le même communiqué, ce n'est qu'une fois l'accord de coopération technique avec ses vis-à-vis des autres pays signé que le MROS sera habilité à partager des données telles que les numéros de comptes bancaires et les renseignements relatifs aux transactions de capitaux ou aux soldes de comptes, a-t-on expliqué. Des données jusqu'à l'heure couvertes par le secret bancaire, ce mythe helvétique de la sécurité et la garantie absolues qui seraient en train de se déconstruire sous les pressions émanant d'ici et là. Car la Suisse est, depuis plusieurs années, soumise à des attaques en règle de nombreux pays. Est-ce la fin de l'impunité ? Dans le collimateur des gouvernements étrangers : le secret bancaire qui aurait favorisé l'expansion de la grande délinquance financière sous ses formes les plus néfastes, à savoir la fraude fiscale, la corruption à haut niveau et le crime organisé transnational. L'extension des compétences du MROS est-elle susceptible d'aider concrètement à circonscrire le phénomène du blanchiment d'argent ? A en croire les spécialistes en droit international interrogés, force est d'en douter. Pour certains d'entre eux, «si de telles mesures ont été décidées par la Suisse, c'est dans le seul but d'apaiser la colère des puissances l'accusant d'ouvrir les coffres de ses banques à l'argent sale. Il faut savoir que l'entraide de la Suisse vers un autre pays ne fonctionne que lorsqu'il s'agit de crimes ou délits qui y seraient poursuivis en suisse. Les rapports de force sont très complexes et enchevêtrés. D'où le retranchement derrière le secret bancaire», précisent nos interlocuteurs. Et d'assurer que «bien au contraire, la tendance y est au renforcement des verrous sur la puissante place financière. Le secret bancaire y est érigé en principe, protégé par la loi. L'enfreindre par la communication de données provoque des poursuites pénales et civiles. Si l'escroquerie n'est pas bien vue en suisse, la sortie d'un listing des banques est un crime beaucoup plus important. Les mécanismes de blanchiment d'argent sont connus. Ce sont les imbrications politiques qui demeurent cachées». Pour d'autres, la Confédération helvétique aurait cédé face à la menace d'être exclue du Groupe Egmont – Forum où sont réunies les Cellules de renseignements financiers (CRF) de 127 Etats dont le MROS – qu'il ne cessait de brandir à son encontre. Aux pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la Confédération a également montré patte blanche. Elle a réaffirmé sa volonté de poursuivre plus efficacement sa participation aux nouvelles règles anti-blanchiment d'argent et fraude fiscale, en lâchant encore du lest sur le secret bancaire. Moins de 24h avant qu'il ne se soit prononcé de manière définitive et officielle sur la date d'entrée en vigueur effective de la LBA révisée, le Conseil fédéral avait signé, à Paris, dans l'après-midi de mardi 15 octobre, un accord de coopération en matière fiscale avec l'OCDE. Un échange spontané et non automatique d'informations bancaires a été instauré, c'est-à-dire une convention où il n'est nullement question d'obligation systématique. En termes plus clairs, «en cas de suspicion d'argent noir déposé par un client étranger dans une banque suisse, le cas pourrait être spontanément dénoncé au pays d'origine», nuançaient, en effet, les services du Secrétariat d'Etat aux questions financières internationales, précisant au passage qu'il y est, toutefois, prévu «la possibilité d'échange automatique de données qui ne pourrait être pratiquée qu'après signature d'accords bilatéraux avec chaque pays concerné». Et, bien que ce pas soit qualifié de symbolique, puisque Berne n'a pas renoncé à l'essentiel, le principe du secret bancaire étant toujours intact, la droite suisse n'a pas, comme d'habitude, tardé à réagir contre l'accord conclu avec l'OCDE. Elle a même fait part de son intention de le torpiller au Parlement en usant de son poids en tant que première force politique. Son prétexte : que l'échange spontané d'informations duquel ont convenu les deux parties à la convention était «inconnu dans le droit suisse», que le Conseil fédéral n'avait «aucune garantie en échange». Les droitistes les plus influents ont dénoncé l'empressement du Conseil fédéral à s'engager dans une telle voie. «La Suisse est allée trop vite dans ce dossier sans avoir de contreparties». Selon eux, la vague de critiques qui s'abat sur leur pays vise à altérer la réputation et l'intégrité de la place financière que le contexte de guerre économique de plus en plus rude a exacerbée. Partant, conclure un tel accord c'est à leurs yeux admettre de manière tacite la responsabilité, directe ou indirecte, de la Suisse et sa place financière dans la recrudescence de la circulation parallèle de fonds et l'émergence de la criminalité financière en col blanc. En franchissant ce pas supplémentaire, la Suisse a, bien au contraire, envoyé un signal clair et fort : montrer sa détermination à faire de l'échange automatique de données un standard international, rétorquaient des experts de la place financière et économistes de l'Université de Genève. Et «c'est sur ce sujet qu'elle doit négocier ferme pour avoir des contreparties et veiller surtout à ce que ce standard soit appliqué de par le monde à partir de 2015, si possible», insistent-ils.