Il existe encore quelques Algériens et Algériennes qui se souviennent qu'au siècle dernier – et, même, tenez, dans un précédent millénaire – le Palais des Expositions des Pins Maritimes accueillait les Foires du Livre. C'était au début des années quatre-vingts, m'en souvient-il, à moins que ce ne fut du temps des Almoravides ? En tout cas, avides de livres, nous l'étions et nous profitions encore, avant que les cours du pétrole n'aillent faire de la sous-marine, de l'incroyable mesure de subvention des prix des livres jusqu'à 80% de leur valeur ! Une mesure de l'autoritaire Boumediene qui, apprendra-t-on, aimait lire et aurait même aidé les éditions Sindbad (reprises par Acte Sud) à se maintenir à flot. Ainsi, des colonnes et des cohortes s'ébranlaient de la ville et de tout le pays vers la foire, rapportant des tonnes d'ouvrages vers les domiciles, par cartons, malles, couffins, sacs de toile, etc. On racontait alors que les premiers «nouveaux riches», bien pauvres au regard des nouveaux «nouveaux riches», venaient acheter des livres au centimètre, selon la longueur de leurs étagères de bibliothèque ! On a eu tort d'en rire alors, car leur comportement prouvait au moins qu'à l'époque, le modèle dominant dans la société les obligeait à paraître cultivés. On racontait aussi que des coopérants se seraient enrichis en revendant dans leur pays des encyclopédies neuves – l'Universalis notamment – achetées à vil prix à Alger ! Que reste-t-il de cette épopée livresque ? La nostalgie d'un temps où les biens culturels, même bradés, attiraient plus que la bombance alimentaire. Mais il est vrai qu'on ne trouvait pas grand-chose dans les souk-el-fellah (pour les jeunes : immenses supermarchés d'antan destinés à former des files de clients). Il en reste aussi un formidable engouement pour la lecture que portent encore plus de concitoyens qu'on ne le pense. La fréquentation du Salon international du Livre d'Alger – plus d'un million de visiteurs ces dernières années – en est un signe. Les critiques récurrentes contre les prix élevés des livres à cette manifestation en est un autre. C'est que nous restons profondément marqués par le modèle de la Foire du Livre, Babylone livresque sans pareille dans l'histoire du monde (écrivez-nous sinon). Fondamentalement, les Algériens continuent à n'envisager la lecture que par l'achat du livre. Or, le monde entier, y compris les pays les plus libéraux, s'appuie avant tout sur la lecture publique. Tandis que se construisent des dizaines de bibliothèques, il faut donc les rendre attractives, promouvoir la lecture publique auprès des lecteurs et lectrices, mener campagne pour le prêt, etc. Tout cela sans oublier les librairies, indispensables à la respiration culturelle et pour lesquelles, la fraîche directrice de l'édition de l'ANEP, l'écrivaine Samira Guebli, nous annonce du nouveau de son côté (p. 16). Bref, chérissons l'improbable souvenir des Foires. Mais lisons différemment.